La Semaine, 23 octobre 2025, par Élise de Grave

Hélène Laurain : la vie à vif

Entre souvenirs, pertes et renaissances, Hélène Laurain fait de l’intime une matière littéraire. Dans Tambora, la Mosellane, retenue dans la première liste du Goncourt et toujours en lice pour le Goncourt des lycéens, raconte la maternité sans tabou.

Il y a d’abord les images tendres d’une jeune mère avec sa première fille : les matins de fatigue douce, les gestes appris sur le tas, les mots murmurés dans le noir. Puis vient l’attente d’un deuxième enfant, la joie mêlée d’inquiétude, l’amour qui s’élargit. Et, entre les deux, une absence, une vie minuscule, portée deux mois avant de s’éteindre. Ce vide, Hélène Laurain le traverse avec des mots. Après Partout le feu, roman suscité par l’urgence écologique, Hélène Laurain signe Tambora et s’éloigne du monde pour mieux s’en rapprocher, en explorant le sien, son corps, sa maternité, ses deuils. « Mon premier manuscrit portait déjà sur ça, et puis je l’ai abandonné pour écrire Partout le feu. Entre les deux livres, j’ai fait une fausse couche, et donné naissance à ma deuxième fille… Ce qui entourait la maternité, la parentalité, prenait tout l’espace à ce moment-là, tout le temps. Soit j’arrêtais d’écrire, soit j’écrivais là-dessus. »

Le volcan intérieur

De ce geste presque vital est né Tambora, livre d’une sincérité tranchante. Hélène Laurain y évoque la fausse couche, « catastrophe intime » qui ouvre le récit, et s’attaque au vide du jargon médical. Face à cette « mortelangue, froide, descriptive, neutre » des médecins – elle invente une langue vivante, chaude, poétique. « Ce n’est pas thérapeutique d’écrire dessus. Il faut faire un travail à côté pour surmonter les traumatismes. Mais écrire permet de mettre de l’ordre, de donner une forme à ce qui m’a semblé chaotique. Ce qui a été, ce qui aurait pu être, ce qui est : voilà ce que j’essaie de dire. Une femme sur trois fait une fausse couche, ce n’est pas banal pour autant et ce sont des histoires qu’on ne veut pas entendre, c’est impudique d’en parler. J’avais envie d’en faire un objet littéraire, de trouver les mots qui disent le lien, ce lien vivant à ce qui aurait pu être un enfant. » Le titre du livre renvoie à un volcan dont l’éruption, en 1815, avait plongé le monde dans la nuit. « On a l’impression de vivre d’une catastrophe à l’autre. Ma question, c’est : qu’est-ce qu’on fait après ? Comment on se relève, comment on trouve de l’espoir ? »

Sur la page de garde, la dédicace résume tout : grâce à mes filles. « J’avais toujours, toujours en tête en l’écrivant que mes filles allaient probablement le lire plus tard, et il fallait que ce soit recevable pour elles. C’est un livre pour mes filles, pour les femmes qui ont traversé des épisodes similaires, pour leurs accompagnants ou accompagnantes. »

La clarté après l’ombre

Mais Tambora est aussi une réflexion sur la langue, sur la manière dont les mots peuvent enfermer ou libérer. « La grossesse, c’est attendre un heureux événement. Oui, mais pas que. C’est un univers saturé d’euphémismes et de clichés qui embellissent tout. Moi, je veux parler de ce qui ne se dit pas, de ce qui reste dans l’ombre. » Le compagnon, lui, reste à la marge : « C’est un livre sur moi et mes filles. Je n’ai pas besoin d’un regard masculin au-dessus. Le terme accompagnant, c’est le mot médical qu’on nous demande à la maternité : “Qui est votre accompagnant ?” J’avais envie de me le réapproprier comme quelque chose de bon, parce qu’étymologiquement, c’est celui qui mange le pain avec quelqu’un. Même s’il accompagne très bien, il ne peut qu’accompagner, puisqu’il ne peut pas accoucher à notre place. »

Depuis sa sortie, le livre bouleverse. « Beaucoup de femmes me disent : “Ce que vous avez écrit, je l’ai vécu, je ne savais pas comment le dire.” C’est comme si j’avais trouvé des mots sur ce qui était trop tabou pour être exprimé. » Et puis il y a eu la surprise du Goncourt, en figurant dans la première liste des quinze derniers sélectionnés. « J’ai été très surprise, vraiment. Je ne m’y attendais pas. C’est un livre difficile, autant dans les thèmes abordés que dans la forme. Je ne pensais pas qu’il aurait un public. » Les rencontres en librairie se transforment souvent en confidences. « Je dévoile beaucoup de moi, mais je trouve ça beau. C’est peut-être la plus belle partie de la promotion du livre. » Tambora n’est pas un livre sur la douleur : c’est un livre sur la vie. Une écriture qui cherche la clarté après l’ombre, l’accord après la dissonance. Dans les dernières lignes, Hélène Laurain écrit : « Les cloches sonnent pour réveiller les vivants, pour qu’ils écoutent à l’unisson, qu’ils s’accordent. C’est maintenant la vie belle. » Une phrase qui sonne comme un apaisement.