Les Échos, 6 décembre 2025, par Marceau Cormerais
Roman : Nassera Tamer au bout de la langue
Au croisement de la recherche formelle et de l’intimité que portent les questions identitaires et linguistiques, Nassera Tamer pose Allô la place, étonnant premier roman publié sous les auspices des taxiphones parisiens.
Un premier roman affublé du nom d’un taxiphone ? Chez Allô la place, les activités se stratifient suivant un degré de familiarité avec le lointain… Versant visible : dépôt ou réception de colis, impression, réparation ou encore transfert de fonds vers l’étranger. Pan invisible : navette téléphonique des diasporas avec les proches restés au pays, bureau du lien entretenu par les exilés avec la terre natale.
Nassera Tamer explore la portée des lieux avec une grande finesse. Ainsi qu’un taximètre comptabiliserait distance et temps, le « taxiphone permettrait d’entendre un temps écoulé et une distance parcourue. Il serait l’outil qui en imprime la trace sonore, celle d’un exil, d’une culpabilité, d’une échappée. » Notre narratrice est en plein dedans, de plain-pied face aux distances physiques, symboliques, culturelles et linguistiques avec le Maroc où vit cette mère à qui elle peine à parler.
L’héroïne de Nassera Tamer est malade de la langue, ce darija (l’arabe dialectal marocain) avec lequel elle tente de renouer en ligne via une application de tandem linguistique, discutant avec Mer, cette femme de l’autre côté de la Méditerranée, comme une version perdue de sa propre vie, une possibilité.
Contacts distendus, identité millefeuille et géographie incertaine : les phrases de Nassera Tamer ont le souffle court, observatrices avec un supplément d’âme, trouvant leur principale force dans les effets de juxtaposition. « Au fond, je veux juste savoir ce que les gens disent quand ils appellent leur pays. » Au gré des pages, apparaissent les reproductions papier de devantures de taxiphone, originalité formelle : herbier urbain de l’exil intime.
Intelligente et sensible avec ses envolées inattendues au creux de la litanie Lycamobile/appels en absence, c’est en Georges Perec des topographies diasporiques que Nassera Tamer s’avance, son Allô la place est un texte à découvrir.