L’Événement, 6 mai 1999, par Benoît Rayski et Valérie Zenatti

Entretien avec Benny Lévy. Propos recueillis pas Benoît Rayski et Valérie Zenatti.

Comment le secrétaire de Sartre, et légendaire chef révolutionnaire, est devenu un « enragé » du Talmud.

Il y a quelques semaines Le Monde a publié un article avec un joli titre : « Du Grand Soir au Talmud ». Il vous était consacré et j’y ai trouvé ces lignes : « Qu’a-t-il bien pu se passer pour que l’ancien enragé, (il s’agit de vous) soit soudain revenu là (c’est-à-dire vers le judaïsme). C’est une analyse ? Une conversion ? Une apocalypse intime ? Une femme ? » Eh bien je suis venu vous voir pour essayer de trouver des réponses…

Il faudrait modifier la formulation de la question…

Elle n’est pas de moi…

De l’extérieur, l’auteur de ce talentueux article demande : comment se fait-il que quelqu’un qui s’est engagé dans la révolution culturelle au sens de Mao Tse Toung dans les années 60-70, on le retrouve sur une Guemara à Jérusalem ? La réponse requiert quelque intériorité. Je veux bien parler de moi : un juif qui s’est totalement engagé dans l’aventure du siècle se retourne, et dès lors suit la direction d’un passé immémorial. Nous sommes assez nombreux à faire ce choix, vous savez. Bernard-Henri Lévy n’a peut-être pas été assez sensible à ce retour. D’où une série de questions qui visent un petit peu à côté. Apocalypse, ça n’est pas du tout adéquat. C’est précisément une catégorie qui désigne le lieu d’où je m’éloigne : le « groupe en fusion », cher à Sartre. Une conversion ? Quand on dit conversion, les gens, et même les « juifs modernes », pensent que c’est l’épée dans les reins et une visitation nocturne comme ils l’imaginent à travers la nuit de feu de Pascal. Rien de tel en ce qui me concerne. J’ai mis des années avant de prendre la mesure de ce que j’avais déjà entendu. Des années à savoir l’effet de vérité qui m’avait frappé depuis déjà pas mal de temps.

Cela signifie que vous l’aviez en vous et que vous ne le saviez pas ?

Oui.

L’idée qu’un juif se convertisse au judaïsme vous paraît absurde ?

Vous connaissez la scène de Rosenzweig ? Il était tout près de se convertir au christianisme, et il avait décidé, puisque juif d’origine, avant de faire le pas, d’aller dans une synagogue le jour de Kippour. Ça l’a transformé complètement. Je ne crois pas qu’il aurait écrit l’équivalent du mot conversion en allemand. Faire « techouva » peut-être…

Faire « techouva », c’est revenir ?

C’est le sous-titre de mon livre : « La pensée du Retour. » Faire « techouva », ça n’est pas revenir, c’est penser dans le retour. On se trouve dans un contexte où s’est épuisée la signification du moderne. C’était mon cas… Quand j’ai voulu sortir de la vision politique du monde, j’ai commencé par Platon. Il faut que vous compreniez : j’ai tout essayé, dans l’espace de la pensée occidentale, pour penser ce qui m’arrivait. Mais je ne trouvais pas ! C’est ce que j’appelle être jeté dans la pensée du Retour. Là réside peut-être la différence entre un juif et quelqu’un qui aurait la même culture philosophique que moi et qui ne serait pas juif.

Si je suis votre raisonnement, c’était une chance d’être juif ?

Lévinas m’a appris qu’être juif, c’est atteindre ce moment où une condition vécue dans la malédiction vire en exultation. C’est ça être juif ! Être juif, c’est « être pour Autrui » comme disait Sartre, avec par-dessus le marché « être juif ». Ce « par-dessus le marché » que tout juif connaît est, en général, vécu comme une malédiction. Moi aussi je l’ai connu ainsi jusqu’à 30 ans.

Vous n’allez quand même pas me dire que le leader de la Gauche Prolétarienne que vous étiez vivait, au moment même de l’exaltation révolutionnaire, le fait d’être juif comme une malédiction…

Mais si. Et ce malaise chez moi était providentiellement accentué… Car j’ai eu une immense chance ; j’étais un hapax administratif en France. Hapax en grec désigne un mot qu’on ne trouve qu’une fois dans la littérature. Eh bien pour moi c’était l’administration : j’étais sans papiers. Je suis né au Caire. Mais mes grands-parents étaient des juifs d’Alep, qui ne parlaient pas un mot de français. J’ai donc été jeté dans la langue française : vous connaissez la formule de Derrida à propos de son rapport au français ? Il dit : « Je n’ai qu’une seule langue et ce n’est pas la mienne ». Je ne dis pas tout à fait la même chose, mais le point commun c’est que j’ai été jeté dans le français mais je sais que j’aurais pu être jeté ailleurs. C’est capital !

Mais enfant au Caire, vous ne parliez que le français…

Ce n’est pas exact. J’étais dans la maison des grands-parents, qui ne me parlaient qu’arabe. L’arabe syrien, je ne l’ai pas seulement entendu, je le parlais, enfant. Bien entendu, le français est ma langue maternelle. Sauf que c’est une langue maternelle qui est comme vidée de l’intérieur par un arabe qui va devenir très vite invisible et inaudible pour moi. Mais d’autant plus présent !

Vous êtes donc arrivé en France à 11 ans et demi en 1956 après l’expédition de Suez.

Et je n’avais aucun papier ! J’étais apatride sans le statut d’apatride. Je me souviens des queues à la Préfecture de Police. Des queues qui commençaient au pont avant d’arriver à la porte de la Préfecture. Au même moment il y avait avec nous des réfugiés de Hongrie, et ça m’ennuyait diablement d’être avec des réfugiés qui eux l’étaient pour de mauvaises raisons. Parce que c’étaient des anticommunistes…

Votre conscience politique était si aiguë à 11 ans et demi ?

Oui ! J’avais un frère plus âgé qui était entré dans le mouvement communiste clandestin en Égypte. Une bonne partie de la famille l’avait précédé. Donc le communisme pour moi c’était un mot qui résonnait avec des senteurs de jardin d’Eden…

Nous étions partis du mot malédiction pour arriver à ce que vous appelez « une immense chance ».

Voyez comme tout commence. Je mets les pieds en Europe et ce que je viens de dire « je mets les pieds » est une affirmation fausse, je n’ai jamais mis les pieds. Si l’on veut comprendre quelque chose à mon histoire, c’est cela qu’il faut comprendre. C’est que je n’ai pas mis les pieds en France !

C’est-à-dire ?

Il n’y avait pas de sol ! Pas de sol sous mes pieds… Voilà donc la chance providentielle : cette merveilleuse révélation qui m’était donnée a été protégée, réservée. Si j’avais été un juif algérien avec des papiers français, pouvant tout de suite devenir normalien, j’aurais perdu cela. Mais là, grâce à Dieu, à chaque pas on me rappelait que je n’étais pas Français. Même à l’École Normale Supérieure. Le directeur de l’École, un grand helléniste, a écrit au Président de la République de l’époque, Georges Pompidou, pour demander ma naturalisation. Et Pompidou a refusé. Et pourtant je n’étais même pas chef de la Gauche Prolétarienne à ce moment-là. À peine l’ami de Pierre Goldman faisant le coup de poing contre les fascistes, comme des milliers d’autres… Être normalien cela signifiait pour mes copains de promotion une carrière, un salaire. Et moi je n’avais rien. Chance unique ! En un mot, j’étais étranger !

Chance unique ? Mais vous ne le pensiez pas à ce moment-là…

Bien sûr que non. C’est cela la malédiction : c’est quand une chance providentielle, on ne la reconnaît pas ; on ne la déchiffre pas, on ne sait pas la lire ! Alors on dit c’est une malédiction.

Donc, le malaise existait.

Oui. Et j’ai encore honte de dire certaines choses… Enfin, je les dis et comme cela, je répare. Je pensais qu’il fallait que je transforme mon accent qui était l’accent d’un juif du Caire. Et cela veut dire quoi transformer mon accent ? Cela voulait dire me séparer de ma mère. Joli ?

Et votre engagement révolutionnaire, c’était pour dépasser votre malédiction et votre malaise ?

C’est certain. Il me fallait construire un lieu, et ma force venait de là. Un lieu, un tenant lieu, un sol… Quand la direction de la Gauche Prolétarienne se retrouvait, dans quelque appartement que ce soit, effectivement c’était chez moi… Là j’étais chez moi. D’où la force de cette amitié, et le surcroît d’autorité de ma présence dans ce tenant-lieu.

Vous vous sentiez juif à ce moment-là ?

Non, je n’étais pas juif. Enfin si, et de la pire façon, d’après la définition de Sartre bien sûr. La définition de Sartre des Réflexions sur la question juive, pas le Sartre des derniers entretiens que j’ai eus avec lui. En arrivant dans un endroit où il y avait d’autres juifs qui se trahissaient comme juifs, j’avais des tressaillements. Toute la définition du juif non authentique !

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire que le mal-aise, devient un mal à l’aise parce qu’il y a un autre comme moi, mais qui se trahit, alors que moi j’ai tout fait à la direction de la Gauche Prolétarienne pour ne pas me trahir. Donc si je vois quelqu’un qui se trahit, c’est moi qui suis trahi. En termes vrais : il s’agit là de la responsabilité de tout juif à l’égard des autres juifs, ce que l’antisémite comprend à sa manière, alors que le « juif moderne » ne comprend rien à cela… Il y a des effets de vérité dans la haine…

La vérité dans la haine parce que cette haine prouve que l’antisémite a compris ce qu’était l’essence juive en quelque sorte ?

Oui. La haine peut-être une modalité révélante. Je sais que cette formule est provocante…

Revenons sur le malaise et la malédiction.

Je vais vous raconter simplement une scène. C’était à Bruxelles en 1970 où il y avait un Congrès des Comités de Lutte ouvriers. Un ouvrier arabe de Roubaix a fait une sortie anti-juive stupéfiante. Je vous raconte cela pourquoi ? Parce que je n’ai rien dit. J’étais chef de la Gauche Prolétarienne…

C’était votre complexe à l’égard des masses populaires…

Comment pouvait-il en être autrement dès lors que nous pensions que l’œil du paysan voit juste, qu’il fallait aller dans les usines… Qu’un normalien brillant devenait OS (un exemple parmi des centaines d’autres) à Boulogne Billancourt…

Vous auriez pu quand même réagir car, que je sache, l’antisémitisme ne faisait pas partie de l’idéologie officielle de la Gauche Prolétarienne…

Il se trouve que quelqu’un a protesté très violemment, mais pas moi. C’est cela l’intérêt de cette scène : moi je n’ai rien dit. J’étais chef, et ma « chefferie » se développait sur l’humus de la malédiction. Un autre exemple. Nous avions monté des Comités Palestine : puisque des ouvriers OS étaient arabes c’était une façon de les mobiliser. Ces Comités avaient un journal qui s’appelait Fedaï. Un militant arabe le vendait en criant : « Lisez Fedaï, journal antisémite ! » Aussitôt il était entouré par les militants « conscients », qui lui disaient « mais non mais non, pas antisémite, antisioniste ». Et pas contrariant, il reprenait : « Lisez Fedaï, journal antisioniste ». Et cela a duré jusqu’à l’attentat de Munich. Et à ce moment-là quelque chose s’est passé…

En général ou pour vous personnellement ?

En général et pour moi ! C’est-à-dire moi et le chef de la résistance militaire, de ce que nous appelions la Nouvelle Résistance chez nous. Si lui qui n’était pas juif avait considéré que Munich était l’expression de la juste lutte du peuple palestinien, j’aurais pas donné cher de la suite.

Et alors le « général » n’a pas hésité ?

Nous n’avons même pas eu à discuter. On a pris la plume et on a signé le communiqué dénonçant l’attentat. Ce fut le début de l’acte de décès de la Gauche Prolétarienne.

C’est à partir de ce moment-là que vous redécouvrez le judaïsme ? Pendant que vous êtes avec Sartre ?

C’est après, avec lui, pendant notre travail quotidien.

Concernant Sartre vous racontez un épisode singulier. Vous discutez avec lui et vous cherchez à savoir comment il a pu si bien décrire le juif ainsi qu’il le fait dans ses Réflexions sur la question juive. Et Sartre vous répond : « Parce que je pensais à moi… » !

La réponse est donnée dans Les Mots. Dans ce livre, il dit en substance : être dans les livres, c’est être juif. Et dans L’Être et le Néant lorsqu’il parle de conscience, du pour-soi, il dit que son être est diasporique. L’être de la conscience est diasporique. Donc il s’est identifié au juif.

Vous-même, à quel moment avez-vous décidé de partir pour une yeshiva à Strasbourg ?

Ça m’a pris un temps fou. Si vous saviez le temps que j’ai perdu ! Il m’a fallu des années pour arriver à la décision. Je vois des amis qui, eux, sont allés plus vite, et ont ainsi gagné du temps. Parce que, vous savez, c’est à la dernière extrémité que j’ai été rattrapé. Quand je vous dis que j’ai perdu du temps, ce ne sont pas des paroles en l’air : j’ai perdu des années précieuses, entre disons 25 et 35 ans. Dix années qui, pourtant, ont été des années d’investigation, de recherches, qui ont commencé par Platon. Ah, si j’avais commencé par Rabbi Akiba ! Qu’on me comprenne bien. Je ne fais certes pas de la lenteur de mon cheminement une vertu. Cette lenteur est l’exact envers de la manière malheureuse d’intérioriser ma malédiction, c’est-à-dire que j’ai fait l’impossible pour ne pas entendre. L’impossible ! Je lisais des textes parmi les plus profonds et les plus secrets de la tradition juive et j’étais encore en train de manger comme n’importe quel Occidental dans les meilleurs restaurants avec Sartre !

Aujourd’hui quand vous y pensez…

Les grands restaurants ? C’était très bon !

Et alors ? où était donc le problème ?

Si je mangeais dans ces grands restaurants c’est clair que je n’avais pas entendu ! Que je n’existais pas dans ce que j’entendais. Cela me rappelle le premier Kippour que j’ai dû faire : je suis allé en voiture à la synagogue ! Et je me souviens de ces braves juifs qui m’attendaient, j’étais déjà un peu connu. Imaginez leur déception ! Vous comprendrez donc que je ne sois pas très sensible aux tentatives d’adapter le judaïsme au monde moderne. Je sais de l’intérieur et par expérience l’imposture que c’est. Une imposture totale ! On ne peut pas jouer sur deux tableaux : on ne peut pas manger du cochon et feindre d’être au cœur du judaïsme.

À quel moment s’est opérée chez vous la rencontre avec Lévinas ?

Avec Sartre. Il voulait qu’on fasse un travail qu’il avait intitulé Pouvoir et Liberté.Donc on s’était mis à lire des textes sur la révolution, d’abord la Révolution Française. Ensuite on a pris des textes chrétiens… Tout, tout, tout ce qu’on pouvait avant de se tourner vers les juifs, on l’a pris. Mais en même temps que nous faisions cela, moi j’avais repris systématiquement tous les textes de Sartre et je l’interrogeais (c’était parfois un interrogatoire au sens le plus violent du terme). Et bien évidemment au centre il y avait le problème de ma vie pendant la phase de malédiction. C’est « l’être pour autrui » qui m’intéressait le plus. Et donc, avec mes dents je déchirais les textes… Et là, m’est revenu en mémoire le nom d’un auteur que j’avais lu quand j’étais en hypokhâgne, avant de m’engager totalement dans la révolution. Et Pierre Goldman dans son livre – Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France – avait rappelé l’impression extraordinaire que j’avais ressentie en lisant cet auteur : cet auteur c’était Lévinas. Et je me mets à lire les textes. D’abord (je crois) Difficile Liberté qui est une extraordinaire bourrasque juive. Des textes d’une force et d’une vigueur, extraordinaire ! Même des gens qui sont quand même très loin du texte juif, comme mon ami Finkielkraut, ont eu à leur manière une impression de ce type, un choc, une commotion, en lisant ces textes. Et puis évidemment, j’ai lu les textes philosophiques. Et au sortir de cette lecture, la décision s’est imposée sans le moindre problème : il fallait que j’apprenne l’hébreu ! Lévinas est un maître en cela, en ce qu’il m’a obligé, contraint, d’aller vers l’écriture carrée. Cette dette est pour moi décisive.

Tout à l’heure vous disiez que vous étiez un étranger. La lecture de Lévinas a fait qu’à un moment vous ne l’avez plus été ?

Pas du tout, la lecture de Lévinas fait que je suis un étranger qui soupçonne qu’il y a une résidence. Et qui sait déjà que cette résidence a à faire avec les lettres carrées. Je n’avais pas mis les pieds en Eretz Israël, j’étais complètement noué à l’égard de ce pays. Et il va falloir attendre le voyage de Sadate à Jérusalem, les réactions de Sartre face à mes réactions, (les siennes propres étaient évidemment très enthousiastes). Et il m’a dit : « Tu veux qu’on y aille ? » Je n’osais pas me le dire, je n’osais pas espérer, et c’est là que notre ami Élie Ben Gal nous a téléphoné et on y est allés. C’est donc avec Sartre que j’ai mis les pieds à Jérusalem. Et là, sans que je le sache, l’air, la pierre m’ont dit que j’y vivrai.

Et, aujourd’hui, vous avez choisi de vivre à Jérusalem, pourquoi ?

Une grande part de la décision de monter à Jérusalem tient au fait que je voulais y rencontrer de grands maîtres que je ne pouvais pas rencontrer ailleurs. Autrement dit, au fait qu’Eretz Israël est, à l’heure actuelle, le meilleur endroit pour l’étude de la Torah.

Alors maintenant, c’est chez vous ?

J’ai dit à mes amis de Strasbourg qui m’avaient demandé avant de partir de parler : « Je monte à Jérusalem pour être enfin un étranger, résidant en vérité. » Cela a beaucoup choqué quelques-uns… Ils n’ont pas compris le sens de ce que j’ai dit. Pourtant on trouve cela chez le roi David qui dit : « Je suis étranger sur terre, ne me cache pas tes commandements. »

À part étudier, que faites-vous exactement à Jérusalem ?

J’ai poursuivi sous une nouvelle forme (cela m’a demandé beaucoup d’engagements et d’investissements) l’enseignement, ce à quoi j’étais tellement attaché. J’ai eu assez vite en arrivant l’idée de créer une école doctorale pour la communauté francophone. Cette école a eu un succès immédiat dès sa première année d’exercice. Succès en nombre de candidatures. (Doctorats et DEA) et succès par les séminaires prestigieux qu’on a pu tenir, avec Milner, Finkielkraut, bien d’autres et le dernier, venu après que l’école a été dissoute, Jacques Derrida.

Pourquoi dissoute ?

Parce que dans mon université (Paris VII) une campagne s’est développée sur le thème : il ne faut pas qu’il y ait à Jérusalem, sous le gouvernement Netanyahou, une institution prestigieuse. Et donc, le conseil d’administration de l’université a voté la dissolution de l’école doctorale, au point le plus haut de son existence. Pure passion politique ! Mais nous sommes quelques-uns à ne pas renoncer.

Le fait que vous soyez un juif très pratiquant a-t-il joué en votre défaveur ?

Oui !

Vous êtes Français ?

En tant que je suis attaché à cette langue. Mais peut-être me demandiez-vous si je suis Français au niveau des papiers ? Oui et merci à Giscard d’Estaing, qui, sur l’intervention de Sartre, a permis que je sois Français.

Ma question ne concernait pas les papiers. Donc vous êtes Français par la langue…

Oui.

Et Israélien ?

Non. Enfin, ça pourrait l’être, mais je ne le suis pas aujourd’hui.

Ce n’est quand même pas la même chose d’être juif à Strasbourg ou à Jérusalem…

Pour nous, (je veux dire les juifs du texte, ceux que j’appelle dans mon livre les juifs réels) chaque juif a une part dans la terre d’Israël. Idée bouleversante, que la vision politique du monde ne saurait dire !