La Croix, 19 août 1983, par Emmanuel Saunderson
Porphyre via Homère
Si l’œuvre de Porphyre fut abondante, L’Antre des nymphes est pourtant l’un de ses rares écrits à n’avoir pas sombré dans les abysses des siècles. Natif de Tyr en Phénicie, c’est en l’an 263 que Porphyre, formé a Athènes auprès de Longin, se rendit à Rome où il compta parmi les disciples de Plotin. Nous lui sommes d’ailleurs redevables de la connaissance de l’œuvre de son maître, puisque celui-ci le chargea d’éditer les Ennéades.
Les écrits de Porphyre qui sont parvenus jusqu’à nous sont comme les membres épars d’un corpus considérable. De la grammaire à l’astronomie, des mathématiques à la philosophie, de la mythologie à la religion, Il est peu de domaines qu’il n’ait abordés. Maillon essentiel du néo-platonisme en Occident, son influence se révéla décisive sur le Moyen Âge chrétien, via Boèce et saint Augustin. L’un de ses écrits sur Aristote fut traduit en syriaque, en arabe, en hébreu, en arménien, en latin et fit assidûment l’objet de commentaires jusqu’au XVIIe siècle. Plus près de nous dans le temps, on perçoit dans l’ontologie de Heidegger comme une résurgence ou un écho de la doctrine de l’Être de Porphyre.
L’Antre des nymphes est une dense et concise exégèse de 11 vers de l’Odyssée où Homère décrit la grotte d’Ithaque. La lecture de Porphyre déploie la lettre homérique en poudroiement de sens et en pluralité de conjectures, mais l’intuition centrale est que ce passage de l’Odyssée condense toute la signification spirituelle du poème, et qu’il exprime par allégories une doctrine de l’âme.
En préface à cette édition bilingue de L’Antre des nymphes, Guy Lardreau nous offre une passionnante méditation sur Porphyre, sur l’herméneutique à la fin de l’Antiquité, mais aussi sur les paradoxes et les enjeux de toute exégèse. Au lecteur qui voudrait s’engager plus avant dans la découverte de Porphyre, on ne pourra que recommander le magistral ouvrage de Pierre Hadot, Porphyre et Victorinus, publié en 1968 par les Études augustiniennes.