Sud-Ouest, 13 janvier 2013, par Gérard Guégan
L’avenir revient toujours
Au début des années 1960, pour une partie non négligeable de la jeunesse, tout fut politique. Voir un film, lire un livre, écouter de la musique, choisir le jeans contre la cravate, etc., autant d’actes qui relevaient du politique (et non de la politique). Tout prêtait à débat, à disputes. L’amitié, l’amour n’y échappèrent pas. Autant dire que chacun, aurait-il rallié un parti, une chapelle, se sentait un destin d’exception.
C’est d’abord cela que restitue avec force, et sans trembler (entendez qu’il n’y entre aucun regret), Natacha Michel, notre contemporaine, dans Plein présent – un de ces livres précisément que les survivants de la génération du « tout est politique » ne pourront que chérir.
Reste que Natacha Michel ne s’en tient pas qu’à la peinture d’histoire, même si elle excelle à nous restituer les journées des 17 octobre 1961 et 23 avril 1960. Sauf que, sous sa plume, le passé paraît aussi vif et incertain que s’il datait d’à peine une minute. En cela, Natacha Michel est une héritière, quoique irrespectueuse, de Flaubert. Singulièrement du Flaubert de L’Éducation sentimentale, plutôt que de celui de Salammbô. Pour la raison que Plein présent tire son originalité du mélange du pluriel et du singulier, du « nous » avec le « je ».
Au point de départ de ce roman, il y a des jeunes filles qu’on ne disait plus en fleur depuis que deux guerres mondiales étaient passées par là. Des jeunes filles qui, malgré les enjeux du politique, aimeront aimer d’amour l’amour (saint Augustin, me semble-t-il). Et ces cinq jeunes filles, comme échappées d’un tableau de Degas, ou de Manet si l’on préfère, vont former la pléiade la plus émouvante, la plus enthousiasmante qui soit. Tout à la fois, elles incarneront la pudeur et la hardiesse, la tendresse et la rugosité d’une saison de la vie qui forcément reviendra. Les hivers ont beau durer, ils finissent par s’effacer. Le fervent Plein présent a aussi le futur pour lui.