Technikart, février 2002, par Jacques Braunstein
Le droit de penser
Deux essais viennent reposer brillamment les grands débats de l’époque.
L’autre jour, dans « Droit d’auteurs » sur France 5, étaient présentés deux livres qu’à priori tout oppose. D’un côté, La Pensée molle de Daniel Accursi, présent sur le plateau et dont on suit le travail avec une régularité quasi filiale (La Philosophie d’Ubu, Puf, 1999, Merdre, Puf, 2000). De l’autre, un texte anonyme, « un tract », comme l’expliquait son éditeur, intitulé Vive le matérialisme !
Daniel Accursi s’en prend aux philosophes télévisuels adeptes d’une « pensée moralisatrice, doucereuse, sirupeuse, insinuante, pleine de bienveillance où chacun aime son prochain comme soi-même, pensée consensuelle où toute révolte, toute dissonance constitue une faute de goût. » Pour lui, réduire la philosophie à la morale, qui n’est qu’une de ses branches, c’est s’interdire de penser. En posant tous les problèmes en terme de responsabilité, les BHL, Luc Ferry et autre Conte-Sponville nous rendent comptables de tous les malheurs du monde et nous interdisent d’agir pour changer quoi que ce soit.
De même Vive le matérialisme !, ce libelle savant et parfois ardu est une charge contre le spiritualisme et les dérives qu’il induit. Car même si le marxisme n’est pas la seule philosophie valable, verser dans le spiritualisme, sacraliser l’art ou tout autre objet, c’est à nouveau s’interdire toute réflexion critique : se condamner à toujours en référer à une instance supérieure, car pour le spiritualisme « l’esprit est tout » alors que, pour le matérialisme, « celui-ci n’est pas tout, parce que rien n’est tout ». De ce « rien n’est tout » naît la liberté de comparer, d’argumenter, de philosopher, de penser, en fait. Il était bon que ces deux textes viennent nous le rappeler.