Libération, 18-19 novembre 2006, par Éric Loret
En 1933, Fondane écrit un article pour les étudiants roumains : « Demain, dans les camps de concentration, il sera trop tard. » On imagine qu’il y eut, comme à chaque catastrophe idéologique, de fins politologues pour lui rétorquer qu’il ne fallait rien dramatiser. Il mourut à Auschwitz en 1944, où l’envoya l’avant-dernier convoi de Drancy, où l’avaient amené des flics français. Benjamin Wechsler était juif et moldave, il signait Fundoianu en roumain, Fondane en français. Il fréquentait Chestov, lisait Heidegger, faisait des films de cinéma pur autour de 1929 (Rapt avec Kirsanov), écrivait des essais esthétiques. On pense à un Rimbaud surréalisé en découvrant ses poèmes francophones (tous ici rassemblés), un certain son de cuivre éveillé cor : « Cri de la chair, esprit, vieil instrument de rêve ! » C’est un fantôme qui nous parle, comme dans cette adresse au lecteur à venir, récit d’une barbarie éternelle : « Vous n’êtes pas nés sur les routes / personne n’a jeté à l’égout vos petits / comme des chats encor sans yeux,/vous n’avez pas erré de cité en cité / traqués par les polices, / vous n’avez pas connu les désastres à l’aube, / les wagons de bestiaux / et le sanglot amer de l’humiliation, / accusés d’un délit que vous n’avez pas fait, / d’un meurtre dont il manque encore le cadavre, / changeant de nom et de visage, / pour ne pas emporter un nom qu’on a hué / un visage qui avait servi à tout le monde / de crachoir ! »