Le Point, 17 mars 2005, par Bernard-Henri Lévy
Benny Lévy
Puisque le nom de Benny Lévy semble devoir être décidément absent des cérémonies commémoratives du centenaire de la naissance de Sartre, qu’il me soit permis de revenir, une fois encore, sur l’importance qu’eut, à la fin des années 70, autant dire il y a un siècle, la rencontre du plus grand philosophe français vivant et du jeune chef maoïste. Du côté de chez Sartre, la rencontre remettait en route le moteur d’une pensée en panne depuis La Critique de la raison dialectique ; elle accouchait, au forceps du signifiant juif, d’un dernier Sartre, d’un très jeune Sartre, libéré de ses aveuglements et de ses impasses ; elle permettait à ce Sartre ultime d’envisager rien de moins que l’écriture de sa fameuse morale, la rupture rêvée avec l’hégélianisme et la remise sur le métier, via l’idée messianique, du vieux concept d’Histoire. Du côté de chez Benny – on le voit, très clairement, dans le recueil que les éditions Verdier ont intitulé La Cérémonie de la naissance – la rencontre permettait d’en finir avec le gauchisme ; d’amorcer une critique de fond, peut-être une sortie, du progressisme ; d’ourdir enfin, à l’insu de tous, en se faisant, tour à tour, le représentant de Sartre auprès des puissances lévinassiennes et celui de Levinas auprès du Saint-Siège sartrien, une extraordinaire conspiration philosophique au terme de laquelle toute une génération de jeunes intellectuels juifs oublieux, comme lui, de leur judaïsme se réapproprieront la Bible et le Talmud. Aventure majeure. Moment littéralement décisif. Deleuze insistait souvent sur l’importance, en philosophie comme dans les romans, des « personnages conceptuels ». De même faudrait-il dire, en philosophie comme au théâtre, l’importance des grandes scènes – et voir ici, dans ce jeu à trois, l’une des scènes philosophiques majeures de la seconde moitié du XXe siècle.