Françoise Asso
Reprises
Collection : Collection jaune
112 pages
18,25 €
978-2-86432-082-1
mars 1989
Reprises est la tentative d’écrire un théâtre mental. Pas de « personnages », mais un Je qui s’agite, en pure perte, et qui interpelle ici et là tous ceux qui ne le regardent pas, ou le regardent mal, ou ne le regardent que pour l’éliminer ou le figer, pour l’épingler. Pas d’« histoire », mais la recherche d’une histoire – la sienne – à dire, à raconter : le Je qui parle ici aurait sans doute quelque chose à dire s’il trouvait sa voix et s’il savait quoi faire de sa mémoire.
Reprises est l’effort de quelqu’un pour agir sur.
On peut le lire comme le livre d’un bouffon, d’un malade, d’un enfant, d’un menteur – comme une intime comédie.
Et d’abord, décider de mon inconsistance : je me confonds avec la terre ou la moquette, je ne me distingue plus du mur sur lequel je m’épingle, je m’y incruste, je m’y efface, je n’ai plus ni forme ni voix ni couleur, je ne suis pas là ; méthodiquement je me fais disparaître, morceau par morceau, violemment je me démembre, sournoisement je me passe à l’encre invisible, à moins que, d’un simple soupir, je ne me pulvérise ; ne restera de moi, jailli soudain de la décomposition à laquelle je m’astreins, qu’un œil souverain, increvable, qui traque, traverse, transperce. Recouvrir, enterrer, étouffer la voix qui me double, appelée sans doute par quelque part de moi qui s’alarme et se demande comment d’où je suis ou ne suis pas m’arracher et repartir, et qui précise que mon insignifiance – non : mon indifférence, non : mon inconsistance – n’est que de surface, et que murs et moquettes dissimulent une profondeur dans laquelle je me déploie ou plutôt me rassemble, à l’abri de tout regard, acharnée à retrouver ainsi l’espace perdu où rien encore ne m’est arrivé, ou plutôt – car, perdu, l’espace réclame un volume où se retrouver et n’apparaît qu’en trompe-l’œil, enfoui dans l’angle vertigineux du rêve ou du livre – à reconstruire un espace identique au premier et qui, dans sa radicale différence, lui réponde, le relève. Je m’annule – mais c’est pour mieux sauter –, je me désincarne – et c’est pour revenir en force, en nerfs, en muscles tendus –, je me souffle et m’échappe et me défais – et me faufile et me ramasse et me reprends, dit la voix qui, pour mieux me trahir, passe par ma gorge, mais nul ne l’entend. Dans le défaut de leur regard – la voix insiste qui ressemble à la mienne, insidieuse et tranchante –, du vôtre, du tien, dans l’espace blanc où j’aveugle, où l’on me manque, je m’allonge démesurément jusqu’à ce que mon ombre s’étende sur tout objet existant – en fait, lorsque je dis que je m’allonge, il est probable que je prends ton désir pour ma réalité, car si j’occupe insensiblement une place toujours plus grande, c’est en largeur que je m’étire ou plutôt m’étale, au risque de me répandre, ou plutôt que je me gonfle, au risque d’éclater dites-vous, mais je ne vous entends pas, ou mieux encore que je prends du volume, – et l’air vous manque alors, mais vous n’en savez rien.