La Liberté, 28 mai 2011, par Alain Favarger
Le cabinet de curiosité
Après un récit d’enfance, Compagnies tactiles (Verdier, 2009), remarqué par Jean-Pierre Richard, Michel Jullien nous revient avec un recueil de textes insolites, qui pourrait être à la littérature ce que les cabinets de curiosités étaient à la peinture du 17e siècle. Des objets fascinants, sinon d’habiles constructions esthétiques. En une quinzaine de textes, l’essayiste attire ainsi l’attention du lecteur sur les sujets les plus divers.
On découvre Roald Amundsen, le conquérant du pôle Sud au grand désespoir de son rival l’Anglais Robert Scott, mortifié après avoir constaté que le petit fanion norvégien flottait sur sa hampe au point fatidique, piqué comme une épingle dans l’Antarctique. On croise aussi la silhouette envoûtante de Sarah Bernhardt, l’amputée. Ou l’éléphant neurasthénique du pape Léon X, enfermé au Vatican. Mais encore d’autres figures énigmatiques nous renvoyant au soleil cuisant de l’Antiquité. Comme Astylos, l’athlète Crotone, voué aux gémonies par ses concitoyens ou le poète Ovide chez les Barbares. On suit également l’auteur décryptant au British Museum un autoportrait de Poussin à la moitié de sa vie, « le faciès d’un individu en proie à l’insomnie ».
À chaque fois l’écrivain suit et développe ses sujets avec une infinie précision dans un modèle d’écriture qui emprunte peu ou proue à l’auteur phare de Verdier, Pierre Michon. La patte de Michel Jullien estompe en partie ce label, mais pas au point d’effacer l’impression d’exercice de style qui s’attache par trop à ces pages. C’est un peu dommage, car cela entrave l’expression de la voix intérieure de l’auteur, assourdie par l’extrême souci du style.