Tatouvu a lu, 15 mars 2007, par Manuel Piolat Soleymat
« La forêt ici à peine esquissée ouvre pour moi sur le mystère d’un monde où nous n’avons nulle place. Il ne s’agit pas de ces bois très peu ensauvagés où nous allons nous promener, ni même des sombres forêts des légendes, hostiles à toute présence humaine – mais d’un espace irréductible à toute formulation, à toute représentation picturale ou verbale. Il s’agit d’un monde vu, senti et agrippé par d’autres sens que les nôtres, un monde qui, même s’il venait parfaitement redoubler celui que nous avons sous les yeux, s’en démarquerait toujours comme en une dimension parallèle, inconnaissable et à jamais insondable. Il s’agit d’un monde d’avant nos regards et nos mots : le monde de l’animal, que nous ne savons ni ne pouvons soupçonner. »
Invitant chacun de ses auteurs à se mettre en recherche à partir d’une image ayant occupé ou occupant une place essentielle au cœur de sa réflexion, de ses rêveries ou de sa création, la collection « L’Image » des éditions Verdier propose de sonder les liens parfois inextricables, souterrains, qui unissent ces écrivains à une image ou une œuvre picturale. Après Claude Esteban, Alain Lévêque et Anne Serre, Christian Garcin se livre à cette investigation personnelle de façon éclatante, construit une forme de vagabondage littéraire passionnant autour du Cerf courant sous bois de Gustave Courbet. Tentant d’appréhender et d’investir un envers de l’exactitude ordinaire, un « autre monde » qu’il relie tout au long de sa réflexion à d’autres artistes – Kafka, Rilke, Tarkovski… –, ainsi qu’à sa propre écriture, l’écrivain en vient à élaborer une pensée extrêmement profonde sur ce qui est et ce qui n’est pas, sur les notions d’origine, de saisissement et d’effacement. « Loin du monde, le langage se heurte à sa matière propre et se révèle à lui‑même, avant de s’oublier », explique‑t‑il. « J’écris. Je longe la forêt, parfois pendant longtemps. Puis j’y entre à petits pas, armé de phrases brèves. / Ce que me dit la fuite éperdue du Cerf courant sous bois peine à franchir mes lèvres. / Il me semble que le moment de cette révélation du langage à lui-même est ce que je cherche dans l’écriture. Lorsque j’écris, je cherche l’autre monde. » Servies par une très belle écriture, ces pensées ouvrent les portes de champs métaphysiques et poétiques captivants.