Le Monde, 19 janvier 2007, par Valérie Marin La Meslée
La toile, l’œil, l’écrit
Regards multiples sur un tableau de Courbet.
La collection d’Alain Madeleine-Perdrillat accueille des textes inspirés par une image à valeur de souvenir, d’éveil ou de révélateur pour chacun des auteurs. Christian Garcin a choisi Cerf courant sous bois, de Gustave Courbet, un tableau daté de 1865, pour entrouvrir, dans ce court essai, les portes de ce qu’il nomme « l’autre monde ». « Qu’est ce que j’appelle “l’autre monde” ? Le saisissement mêlé à l’effacement. Le souvenir de ce qui n’a pas été. »
Une incursion onirique dans la toile inaugure ces pages aux approches diverses : récit factuel (l’auteur raconte n’avoir jamais vu ce tableau mais seulement sa reproduction sur carte postale), souvenirs autobiographiques (vrais et faux), littérature (Kafka, Rilke), cinéma (Tarkovski)… et jusqu’au conte fantastique, – tournure imprévue que l’apparition-disparition du tableau, fait prendre au livre… Ce qui, à ce point, échappe vaut bien une palette variée pour éclairer des zones secrètes tenues pour ineffables.
La « bande de vert » du tableau, esquissant la forêt que longe le cerf, « est à la fois le monde inconnaissable des bêtes, celui des rêves qui les rappellent parfois à nos consciences, et de l’art qui fige ce rappel ». Derrière elle s’animent des scènes anciennes, la mort du dieu Pan relatée par Plutarque, Tristan et Yseult face à l’ermite Ogrin. Avec le temps, le langage propre à nommer des réalités disparues vient à manquer, autre sujet de trouble surgi de cette contemplation. L’écrivain, tantôt chasseur, tantôt proie, cherche les mots qui disent la part animale dont l’homme a perdu le souvenir.
L’effacement est au cœur d’un livre que son auteur suggère même d’annuler au profit de la Huitième élégie de Rilke traduisant si bien son propos ! Ce serait nous priver de l’émotion transmise par son écriture qui interroge en chacun le mystérieux rapport à l’œuvre d’art.