Centre national du livre, note de lecture, 5 février 2009, par Anne Sinha et Anne Princen
Après avoir sillonné la Chine dans Le Vol du pigeon voyageur, traversé New York en quête de son père, dans La Jubilation des hasards, Eugénio Tramonti, lancé sur les traces d’un géographe sibérien mystérieusement disparu, s’est à son tour évanoui « sur la piste mongole ». Dans le volet oriental de ce triptyque, Christian Garcin entraîne le lecteur à sa recherche en mettant ses pas dans ceux du Franco-Argentin Rosario Traunberg, ami d’Eugénio. Sur le chemin, ce dernier qui, pour tout indice, dispose de quelques patronymes inscrits sur un bout de papier, rencontre une vieille chamane qui a vu son ami vivant lors d’une transe.
Construit comme un jeu de piste, ce roman se complique très vite d’une dimension onirique qui fausse les repères spatiaux et temporels. D’autres récits et d’autres niveaux de réalité recouvrent et démultiplient l’intrigue principale fondée sur le motif de la quête. Plusieurs voix se mêlent, qui sont autant d’invitations à visiter les mondes intérieurs des protagonistes. Outre le héros français, incrédule face au chamanisme, on trouve ainsi un chinois qui a le pouvoir de maîtriser ses rêves et rédige plusieurs romans dont les thématiques font écho au récit principal, un jeune garçon bouleversé de découvrir son don chamanique, une chamane mongole qui ne se souvient plus de ses transes, une vieille chamane accomplie, une jeune fille qui séjourne parfois dans une cabane invisible située sur une île du lac Baïkal, et même une divinité mi-femme mi-renard. Tous ces personnages, confrontés à leur propre énigme, finissent par se croiser dans la réalité ou dans leurs rêves et à remonter ainsi la piste mongole. Foisonnant et ésotérique, ce roman explore, grâce aux multiples voies narratives qu’il emprunte, l’expérience d’un tumulte de réalités, comme le ferait sans doute une transe. Hommage à la Mongolie, dont il retranscrit la rudesse et la beauté en se nourrissant d’une véritable expérience de voyage, et animé d’un souffle romanesque puissant, il est également un livre qui contient tous les autres. Comme un chaman capable de revêtir toutes les identités, Christian Garcin écrit tout à la fois un récit de voyage, un roman de formation, un roman policier, un conte, truffé de transcriptions de rêves et de transes, et bien d’autres textes encore. Par son thème qui lie si étroitement la découverte de soi à la quête de l’autre, par sa beauté envoûtante et complexe, La Piste mongole rappelle étrangement le Nocturne indien d’Antonio Tabucchi. Empreint des charmes de l’Orient, il invite à se laisser emporter, promener dans ses récits multiples, qui s’entrecroisent et se répondent, pour un voyage physique autant que mental, qui laisse son lecteur émerveillé et désorienté, comme au sortir d’une transe ou d’une hypnose.