Richard Dembo
Le jardin vu du Ciel
Collection : Collection jaune
128 pages
12,17 €
978-2-86432-436-2
mars 2005
Comment concilier Dieu, l’art, et les faveurs du prince ? Castiglione, dit Lang Shining, « la vie calme » en chinois, usera ses jours à soutenir à bout de bras les contradictions d’une conduite impossible qui ne puise sa force que dans un défi permanent lancé à lui-même.
Au début du dix-huitième siècle, ce Jésuite italien, porté par une foi missionnaire, choisit l’exil en Orient qui l’accueille comme un barbare.
Pourtant le rêve fou de réconcilier, dans un projet universel, deux cultures profondément étrangères et antagoniques, après bien des vicissitudes, laisse percer un espoir. Devenu peintre de cour, Castiglione se verra confier la tâche de construire un jardin respectant les lois de la perspective.
Richard Dembo, qui fut le cinéaste de La Diagonale du fou et plus récemment de La Maison de Nina, nous donne ici la mesure de sa maîtrise de la narration écrite.
Dans le crépuscule naissant de ce mois de décembre de l’an de grâce 1755, Lang Shining, c’était le nom qu’il s’était choisi, « la vie calme », enleva son chapeau de soie bordé de loutre, portant au centre le bouton de saphir qui désignait un mandarin du troisième ordre. Il accrocha l’ample robe de soie azur brodée d’un phénix et du dragon à cinq griffes et remplaça son luxe incongru par une épaisse chasuble noire, puis il ajusta soigneusement sa calotte de coton et, d’une main ferme, prit le luth dans son étui.
« E Io pur torno, Io pur torno qui, come linea al centro… » La voix chevrotait un peu mais les notes étaient encore justes. L’homme sourit dans sa barbe grise en regardant cette humble pièce au sol de terre battue où l’exil le ramenait chaque jour « come linea al centro ». Puis il posa le luth, referma l’étui et s’agenouilla sur le sol gelé pour dire son chapelet.
« Come linea al centro… », la ligne de fuite, celle qui rejoint toujours le centre, le point de fuite. Busenello, dans son inspiration, avait saisi l’ineffable. La perspective, métaphore de toute réalité, pouvait seule décrire la fatalité de l’amour d’Ottone pour Poppea ; au-delà de l’harmonie qui fonde la beauté, c’est la vérité même de nos sens et de notre pensée qui en est l’enjeu. Mon Dieu comment tes créatures peuvent-elles prétendre ignorer la seule invention de notre esprit immortel qui donne aux images humaines la vérité de la Création et du Créateur ?