Force ouvrière, 3 décembre 2008
La rencontre d’Urbino
Juin 1502 : à Urbino, « angle mort de l’Italie princière », César Borgia, autoritaire et cruel, règne sur son « Palazzo ducale », dont les couloirs sans fin voient se croiser deux personnages majeurs de la Renaissance. Ce sont Léonard de Vinci, artiste humaniste et inventeur déjà accompli, et Nicolas Machiavel, jeune secrétaire ambitieux, travaillant pour la chancellerie florentine. L’entrevue eut vraiment lieu : les deux hommes n’en parleront jamais et les documents d’époque sont rares. L’historien Patrick Boucheron a décidé de passer outre, et c’est une audace payante car il nous livre ainsi un texte dans lequel la connaissance érudite s’allie au plaisir esthétique d’une écriture brillante. Cette confrontation entre deux génies sert de prétexte à une méditation dense sur une époque médiévale qui se clôture et une Renaissance en gestation. L’Italie bascule dans un autre monde : Léonard et Nicolas en incarnent à merveille l’effervescence intellectuelle et artistique. Leurs deux vies parallèles se construisent, leurs pensées s’influencent, les machineries politiques de l’un trouvant leur écho dans les machineries techniques de l’autre. D’autres personnages, fort bien brossés quoiqu’un peu secondaires, fournissent une toile de fond qui amplifie la richesse culturelle de cette période : ainsi, dans les montagnes voisines du château, Louis XII, Isabelle d’Este et Michel-Ange confortent leurs projets, rêvent à leurs destins ou philosophent sur le sens du « Beau ». On sort de ce livre en se disant que d’autres siècles basculent, mais moins brillamment.