Le Monde, 28 octobre 2005, par Patrick Kéchichian
Fortunes de la mélancolie
[…] Théroigne de Méricourt (1762-1817), l’une des plus singulières et excessives figures de la Révolution française, usa elle aussi de cette langue secrète dans une lettre que Jackie Pigeaud (et Jean-Pierre Ghersenzon pour la transcription) a exhumée pour cette superbe édition, avec reproduction du manuscrit, et qu’il nomme, dans un raccourci explicite, la « lettre-mélancolie ». Il s’agit d’une missive adressée à Danton (mort en 1794) en 1801, par Théroigne, internée depuis plusieurs années. Elle le restera jusqu’à sa mort et fournira à l’aliéniste Esquirol l’occasion d’une description clinique classique de la maladie mélancolique.
Le texte lui-même, dont Jackie Pigeaud a assuré la présentation, témoigne évidemment de l’égarement de Théroigne, mais aussi d’un violent, désespéré et mortifère élan révolutionnaire : « J’ai eu une nuit si miraculeuse chez moi, qu’elle ferait effroi à des pierres, chez moi, mais chez moi les criminels sont morts, et que le plus sûr est de me faire mourir entièrement… » Tremblement et désarroi des mots qui s’accordent à la nuit intérieure du locuteur…