Libération, 6 avril 1989, par Jean-Baptiste Harang
La question n’est pas de savoir si ce livre est un roman. C’est trop tard, il est lu. Mais : à quoi pensent les fumeurs lorsqu’ils tirent sur leurs pipes ? On entend bien la voix de Dumayet, il écrit comme il parle, toujours un peu à côté de la phrase qui en dirait trop, mais qui en dit assez pour qu’on n’en pense pas moins. À la fin de la phrase, Dumayet met un point. Et il aspire sur le tuyau d’ambre, d’ébonite ou de corne. Et là, entre les doigts serrés sur la tête de bruyère erica arborea ou d’écume (silicate de magnésium), la malice et le bonheur de sucer des pensées ou des rêves engendrent une autre phrase, secrète, dont nous ne connaîtrons que le point. Puis la phrase suivante, celle de l’expiration. Cette pudeur de ne pas tout dire n’est pas de l’avarice mais une forme de respect et de timidité : « je tourne mes phrases devant vous comme un béret. » Le charme de ce texte est peut-être dans ces phrases aspirées, ainsi il est difficile de dire pourquoi on l’aime. Sinon qu’on l’aime bien.