Le Nouvel Observateur, 25 avril 1996, par Jean-Louis Ézine
Rien ne donne sans doute comme l’enfance une idée plus précise et juste des forces adverses qui dominent nos vies et sèment la durable contrariété. Bergounioux explore ce continent d’impostures avec une tendresse horrifiée, parfois vengeresse, qui protège l’ouvrage des pâles atteintes de la nostalgie. « Si grande est la disproportion entre ce qu’il y a et ce qu’on est qu’on se sent pris, quand on s’en aperçoit, d’un grand désarroi. » C’est cet égarement que le romancier transforme ici en outil et sujet d’écriture, à travers les accidents du destin dont il est à perpétuité responsable : le volailler qui rêvait d’opéra, le photographe qui voulait être peintre, ou ce maréchal d’Empire qu’un peuple ivre de folie jeta dans le Rhône. […]
Le présent de chacun est fait de tous ces ratages, et les murs de nos villes retiennent la lumière morte des histoires qui n’ont jamais eu lieu. A-t-on jamais mieux décrit cette constellation d’anachronismes à quoi se résume toute existence, considérée du point de vue des fantômes qu’elle parvient à dissoudre ? On ne peut qu’approuver les désordres qui ont fait de Pierre Bergounioux l’écrivain de ces provinciales tristesses. Elles ne sont qu’un prétexte, mortel peut-être, futile sans doute, mais si prometteur, à la vraie littérature.