La Croix, 3 mai 2012, par Didier Méreuze
Un long voyage d’hiver
Elle est celle par qui le scandale arrive. La fauteuse de troubles. L’empêcheuse de penser en rond. Contemptrice, imprécatrice, prompte à vitupérer l’état de l’univers et surtout de l’Autriche – son pays dont elle n’a de cesse de dénoncer le conformisme et l’hypocrisie, l’antisémitisme et les complaisances nazies… Née en 1946, entrée en écriture à l’orée des années 1970, révélée au grand public avec l’adaptation au cinéma par Michael Haneke de La Pianiste, avec Annie Girardot et Isabelle Huppert, Elfriede Jelinek fait figure, à l’instar d’un Thomas Bernhard, de mouton noir de la littérature autrichienne.
Le prix Nobel en 2004 n’y a rien changé. Restoroute et Animaux, ses deux pièces récemment traduites en France, en témoignent. Écrites respectivement en 1994 et 2007, elles mettent crûment en scène, l’une sous forme de dialogue, l’autre de monologue, l’impossible quête du bonheur sexuel quand la femme n’est considérée par l’homme – et ne se considère elle-même – que comme objet de satisfaction de désir.
Certains ne verront dans la peinture impitoyable de ces personnages qu’amertume ou provocation. Elle relève plutôt d’un trop d’amour pour la vie, pour une humanité souffrante, qu’elle voudrait si parfaite, dont elle exige tant qu’elle ne peut qu’être déçue. […]