Le Matricule des anges, septembre 2005, par Lise Beninca
Obscure enfance
Sur le trajet familier qui les ramène chaque dimanche de Lubersac, Laurence et son frère ont inventé un Jeu : ils scrutent chaque parcelle du parcours pour être à même de le reconnaître au détail près. Le soir du « Grand Brouillard la voiture se trouve enserrée dans une marée blanche qui fait vaciller leurs repères. Anxieux et fasciné, le jeune garçon observe sa sœur en train de « basculer de l’autre côté du monde », « vers la grande nuit des espaces intérieurs ». Des années plus tard, en souvenir de « ce que ça fait d’être un enfant », il cherche à retranscrire l’univers de Laurence, pour qui la réalité n’était encore qu’une esquisse, et qui comblait par l’imagination ses connaissances lacunaires. « Je me souviens du soir où elle me fit part pour la première fois de ses craintes : elle soupçonnait que tout au monde fût incertain. » Laurence pense le monde à partir de ce qu’elle en pressent : la présence sourde de la mort, le pourquoi de l’existence, et tout ce qui force à sortir de l’enfance. Dans ce premier roman d’une écriture foisonnante, les mots d’un autre âge ? celui des contes et légendes ? prolifèrent comme les ronces autour d’un château endormi. Au risque d’oppresser le lecteur, ils s’immiscent dans des gouffres sans fond, suivant les méandres de la fantasmagorie enfantine. Dans l’espace clos de la voiture, fragile coquille au milieu du chaos, se cristallisent toutes les peurs : la claustrophobie de la mère qui la mène au seuil de la folie, l’inconnu qui s’étend au dehors, soudain hostile comme la vie qui s’avance, dans l’évanouissement des certitudes et de l’insouciance, et qui donne envie de « crier pouce ».