Evene, 5 janvier 2011, par Bernard Quiriny
C’est un livre sur Toussaint Louverture, le célèbre libérateur d’Haïti, mais qui commence par une saynète contemporaine au Bénin, lors d’une passation des pouvoirs municipaux. Un livre sur Toussaint Louverture dont l’auteur n’a jamais mis les pieds en Haïti. Un livre sur Toussaint Louverture qui n’est en aucun cas une biographie, ni véridique, ni romancée. La curiosité d’esprit produit parfois des résultats bizarres, en poussant vers ce personnage bien connu un écrivain que rien ne destinait a priori à s’intéresser à lui. Au fond, Ma vie à Saint-Domingue n’est-il pas tout autre chose qu’un livre sur Toussaint Louverture, en dépit des apparences ? « Toussaint est tout sauf mon personnage, confirme Jean-Jacques Salgon. J’ai fait mienne cette histoire qui en réalité était déjà mienne sans que je le sache. C’est en écrivant ces pages que je l’ai découvert ». Bref, on l’a compris : ce petit livre est avant tout une pièce de littérature inclassable où Salgon s’approprie l’épopée du héros haïtien et la fait résonner avec son aventure intime, en mélangeant récit historique et souvenirs personnels (coopération en Afrique dans les années 1980, internat à Lyon en mai 68, etc.) dans un texte libre, étrange et captivant, servi par un style fluide et classique. On peut ainsi lire Ma vie à Saint-Domingue, au choix, comme une sorte de variation biographique entrecoupée de réflexions personnelles (le texte, solidement documenté, fera sans problème office d’introduction à la libération haïtienne et aux rapports des insurgés avec la France bonapartiste), ou comme un témoignage sur une rencontre inattendue entre un écrivain et son sujet, une réflexion en acte sur la fabrication d’un livre et les inclinations intellectuelles. Dans les deux cas, ce court texte est l’un des plus étonnants et attachants de cette rentrée.