Vient de paraître, septembre 2007, par Thierry Guichard
C’est un homme seul qui arpente les chemins de l’Est de la France, au lendemain de la Révolution française alors que, de chaque côté de la frontière, on sort les fusils, on astique les canons. Julien Letrouvé n’a cure de la guerre qui s’annonce. Son bonhomme de chemin s’est tracé dans la solitude, au sortir d’une enfance passée sous terre dans le giron des femmes. C’est que ce gamin, dont le nom dit assez bien la condition, a été pris en affection par une matronne qui rassemblait ses ouvrières dans une écreigne, sorte d’habitation souterraine. Pendant que les femmes filaient la laine, la patronne lisait des livres, ouvrant dans l’esprit du jeune Julien des horizons merveilleux. Devenu jeune homme, notre héros est expulsé de la matrice tellurique et prend la charge de colporter, dans les campagnes, des livres qu’il serait en peine de déchiffrer. L’analphabète, retenu en enfance, ne voit pas poindre la violence d’une guerre qui s’est choisi Valmy, où il se trouve, pour livrer bataille. Notre innocent fera la rencontre d’un Prussien déserteur. Leur fugace amitié, dans la splendeur d’une nature abandonnée des hommes, illumine un roman que la violence vient griffer à maintes reprises. On y voit en effet la mort d’un cheval qu’un tir d’artillerie étripe, on surprend l’antisémitisme brutal de soldats fiers d’eux. Et, surtout, on entend la confession du déserteur victime au sein de son armée d’un viol sauvage. Pierre Silvain use d’une langue d’une grande précision lexicale, anachronique jusqu’en ses saveurs. Ses phrases s’enroulent autour de descriptions, soulèvent l’humus des forêts, enjambent les siècles pour annoncer Rimbaud, Faulkner et relier ainsi son héros à la grande littérature. Le roman noue l’obscur au cœur de la lumière, l’innocence au sein du crime et fait du petit colporteur la dernière figure d’une humanité déchue. C’est somptueux.