Marianne, 7 mars 2014, par Alain Dreyfus
Walter, outrances d’un outre-monde
L’enfance, la peinture, la poésie, le sexe et la folie font la trame unique des cinq récits d’Outre mesure. Le phrasé de Guy Walter, scandé en paragraphes ramassés et maximes lapidaires, va au vif, se jette dans le motif, dans les destins et les corps d’artistes aimés dont il esquisse les parcours chavirés. Les gouffres du déséquilibre mental sont des horizons assumés : les habitants de ces pages, ces personnages d’encre pourtant figés sur le papier, sautent au visage pour faire rendre gorge aux renoncements, aux rêves piétinés, à l’oubli des révoltes et des joies barbares de l’enfance et de l’adolescence.
Pour ces grands vivants, l’agencement des mots sur la page et le broyage des pigments sur la toile, c’est pareil. Guy Walter les nomme « paroliers de peinture ». « Ainsi, écrit-il, quand la parole du parolier peint une image, la peint-elle à l’intérieur de nous-mêmes, sur fond de folie avec son bord de noirceur, son tremblement, son peu s’en faut, et c’est le miracle de la peinture que de nous le faire voir à l’extérieur, sur le mur. » Des noms ? Fantin-Latour, Caillebotte, Bigot le Jeune, qui croit que la peinture « agrandit le monde » ou encore l’étrange Antonio Mancini, enfant éloquent et adulte mutique, peintre génial qui finira dans un asile de Naples par boire les couleurs, dévasté par la mélancolie.
Il y a ici une figure tutélaire et récurrente, celle de Rimbaud, dont l’ombre plane d’un récit à l’autre, même lorsqu’il en est absent. C’est lui qui a appris à Guy Walter, qui se souvient de sa première rencontre avec le Dormeur du val, à respirer. Lui qui lui a appris qu’écrire, c’est avant tout projeter une voix et un souffle. Seul truchement pour, d’une rythmique ou d’une technique picturale, rendre présent le chaos du vivant. Ce Rimbaud, superbe apparieur d’obscénités et de délicatesses qui savait aussi, comme écrit Guy Walter en reprenant les vers de son poète adoré, « cracher sur le cul de son amant puis écrire un sonnet avec des filaments pareils à des larmes de lait ».