Études, juin 2013, par Charlotte Garson
Spécialiste du cinéma de et sur la Seconde Guerre mondiale, l’auteure s’aventure en ouverture dans les « brûlures de l’actualité », dénonçant l’esthétique du trop-plein des documentaires à succès de la série Apocalypse, colorisée et sonorisée sous prétexte de devoir-de-mémoire. « La longue absence [d’images sur la déportation y] fait place à la surexposition », en un recyclage proprement antihistorique. Cet essai précis devient presque romanesque, tant les tournages des différents films abordés sont rocambolesques : ceux de la Résistance par exemple, menés alors que rien n’est encore joué (Au cœur de l’orage, remonté quand protestent les Gaullistes mécontents des penchants communistes de son auteur), ou encore La Libération de Paris, dont les choix de montage (que Sylvie Lindeperg analyse à partir des rushes) programment déjà l’après-guerre. Films impurs par excellence, entre clandestinité et propagande, mais aussi, dans le chapitre le plus poignant du livre, films truqués, tels Theresienstadt, faux documentaire commandé par les nazis à un cinéaste juif allemand déporté, à l’attention de la Croix-Rouge qui allait venir visiter Terezin. Le camp de transit y est maquillé en ghetto modèle ménageant vie familiale, travail et loisirs. Par-delà l’horreur de forcer les déportés à se prêter à cette mascarade quasi-hollywoodienne, Sylvie Lindeperg montre que des regards furtifs, « des signes ténus élaborent un autre réseau de signifiances et témoignent de la fabrication du film ». En une « contrebande du sens », certains figurants, conscients de leur mort prochaine, semblent s’adresser à ceux qui verront ces images bien plus tard et sauront les décrypter – comme si du fin fond d’une falsification d’archives réussie, l’humanité bafouée misait encore sur la postérité.