Guysen International News, 2 janvier 2010, par Cyrano

Deux historiens allemands se sont penchés sur l’histoire des relations entre le IIIReich et le monde arabo-musulman. Ces liens se nouent dès 1933 avec l’arrivée au pouvoir du chancelier Hitler, ils se concrétisent avec l’envoi d’agents secrets et d’armes aux insurgés arabes de Palestine, puis au cours de la Deuxième Guerre mondiale, avec la création d’unités de combattants musulmans au sein de la Wehrmacht.

Le ciment de cette alliance était l’antisémitisme et l’objectif commun l’extermination des Juifs. Son principal artisan a été Hadj Amin Al-Husseini, grand mufti de Jérusalem.

Pourtant, cette alliance entre l’Islam et le régime nazi n’allait pas de soi, et cela pour plusieurs raisons. Mein Kampf contient une diatribe contre l’Islam, mais les Musulmans ont fermé les yeux sur ce passage hostile ou l’ont ignoré : les éditeurs avaient pris soin de l’expurger de l’œuvre d’Adolf Hitler dans sa traduction en arabe ; les mesures antisémites prises par Hitler en 1933 favorisaient l’immigration juive en Palestine ; jusqu’à 1938. les nazis cherchaient à ménager la Grande-Bretagne alors que les nationalistes arabes de Palestine étaient en guerre ouverte avec la puissance mandataire. Cet obstacle sera levé après l’invasion de la Tchécoslovaquie par le Reich en 1938, prélude à la Deuxième Guerre mondiale.

Hadj Amin Al-Husseini et Al-Gailani, deux notables arabes exilés à Berlin

En 1941. Hadj Amin Al-Husseini, mufti de Jérusalem, a déjà un lourd passé d’agitateur en Palestine. Responsable d’émeutes et d’attentats anti-juifs, il est recherché par la police britannique.

Al-Gailani, ex-premier ministre du gouvernement irakien, est l’auteur d’une tentative de putsch en Irak et, avec Al-Husseini, l’un des responsables de l’insurrection anti-britannique dans ce pays.

Après l’échec de cette insurrection, malgré le soutien des forces allemandes1, les deux hommes ont pu clandestinement quitter le Proche-Orient et gagner Berlin, où ils ont offert leurs services aux autorités allemandes. Les complices d’hier, devenus rivaux, se disputent âprement la place de leader du monde arabe. Le mufti triomphera de cette compétition. Le gouvernement allemand met à sa disposition des fonds, des locaux, du personnel, ce qui lui permet de créer un service de renseignement très performant. Il devient l’interlocuteur incontournable des nazis sur toutes les questions concernant le monde arabo-musulman.

Le mufti a l’honneur de s’entretenir avec le chancelier Hitler en novembre 1941. Ses activités le conduisent aussi à rencontrer Mussolini. Il joue un rôle déterminant dans l’engagement de Musulmans dans l’armée allemande.

Une opinion publique arabe-musulmane favorable à l’axe

Les auteurs estiment que l’opinion publique des pays arabo-musulmans était, à une écrasante majorité, favorable à l’axe et « la rue arabe » exprimait ouvertement son admiration pour Hitler que certains considéraient comme un sauveur, le douzième imam envoyé sur terre selon des prédictions anciennes.

Les motivations variaient d’un pays à l’autre : pour les habitants de l’Irak, de l’Iran et de l’Egypte, les Allemands apparaissaient comme les futurs libérateurs du « joug britannique » ; pour les Arabes de Palestine, les nazis étaient leurs alliés contre l’ennemi sioniste.

Le dénominateur commun de l’alliance avec le Reich était l’antisémitisme, attisé chez les Musulmans par les radios allemandes avec les discours enflammés du mufti contre les Américains, les Britanniques, les Bolcheviks, présentés comme les valets de « la juiverie internationale ». Cette propagande haineuse en arabe se déversait sur le Proche-Orient, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Les sympathies envers l’Allemagne nazie se manifestaient par des graffitis sur les murs des villes, par le salut « Heil Hitler » au lieu de « Salam », par des attentats et des sabotages à l’arrière des lignes anglaises en Palestine et même, en Irak, par de véritables affrontements avec les troupes britanniques. 

Parmi les dirigeants ou les futurs dirigeants arabes favorables à Hitler figuraient le roi d’Arabie Saoudite, Ibn Séoud, Gamal Abdel Nasser, lecteur des Protocoles des Sages de Sion et Anouar al Sadate.

Al-Husseini et la Shoah

Le zèle antisémite du mufti, parfaitement informé de l’extermination des Juifs d’Europe par ses amis Himmler, Goebbels et Eichmann, l’a amené à envoyer un délégué visiter un camp de concentration et à effectuer des démarches pour s’opposer à un accord (négocié avec le Joint par l’intermédiaire de la Croix Rouge) prévoyant le sauvetage d’enfants de Pologne, de Hongrie et de Slovaquie : cela renforcerait le judaïsme en Palestine pour le mufti ! À la suite de son intervention, le projet fut annulé.

Après la guerre, alors que les crimes monstrueux de l’Allemagne nazie et de ses alliés ont éclaté au grand jour lors du procès de Nuremberg, des « historiens » ont tenté de présenter les prises de position du mufti comme liées à un opportunisme politique, â une alliance de circonstances (« les ennemis de mes ennemis sont mes amis »), et non pas comme une adhésion au nazisme. M. Cüppers et K.-M. Mallmann démontrent qu’une telle interprétation ne résiste pas à l’analyse des faits. Les pressions exercées par le mufti en faveur de la déportation d’enfants juifs en sont un exemple, parmi d’autres.

L’Afrikakorps en juillet 1942 : un péril mortel pour le Yichouv

En juillet 1942, après avoir vaincu les Britanniques, l’Afrikakorps, sous les ordres du Feld-maréchal Rommel est aux portes de l’Egypte qu’il s’apprête à envahir. C’est l’ultime étape avant le Sinaï et la Palestine. Le commandement allemand prévoit l’envoi de spécialistes des assassinats de masse, forts de leur expérience sur les populations juives de l’est européen, tueries réalisées avec le concours de supplétifs locaux2.

Et l’on imagine ce qui serait advenu du Yichouv, sans la victorieuse contre-offensive de la huitième armée britannique dirigée par le maréchal Montgomery. Les supplétifs locaux n’auraient pas manqué pour l’accomplissement de l’extermination des Juifs de Palestine, pas plus que n’avaient manqué les « bonnes volontés » en Lituanie pour participer à l’assassinat de plus de 130000 Juifs en 1941.

Les volontaires musulmans dans les armées d’Hitler

À partir de 1941, des milliers de Musulmans, d’origine turque, croate, bosniaque… se sont engagés dans la Wehrmacht, et tout a été fait pour les y accueillir en frères : fez spécialement conçu pour eux au lieu du képi, alimentation sans porc ni alcool, unités majoritairement musulmanes avec un encadrement germanique, imams assurant le respect de la religion de Mahomet, et même conférences sur la parenté (?) entre les idéologies de l’Islam et du national-socialisme. Le couronnement de cette fraternité d’armes a été la constitution d’une division musulmane de Waffen-SS.

On sait peu de choses sur les exploits de ces guerriers, affectés en Yougoslavie à la lutte contre les partisans de Tito, sinon qu’ils ont commis des crimes de guerre contre les populations civiles.

Mais ces tentatives de création de divisions islamiques ont abouti à un fiasco : des désertions massives ont conduit à leur dissolution avant la fin de la guerre.

Après la défaite allemande : une collusion souterraine

Les criminels de guerre allemands ont été nombreux à échapper à la justice. Certains ont fui vers l’Amérique latine, d’autres vers les pays arabes : en Egypte, ils ont pu accéder à des postes de responsabilité comme conseillers militaires du Raïs ; Aloïs Brunner, chef du camp de Drancy, a trouvé refuge en Syrie ; enfin d’anciens SS sont devenus instructeurs dans les camps palestiniens du Liban.

Hitler est demeuré populaire dans le monde arabe. Le mufti, membre du « haut-comité arabe » a poursuivi sa lutte contre Israël et contribué à l’union sacrée, le Djihad, contre « l’entité sioniste » en 1947 et 1948.

Conclusion

Cette étude très fouillée des relations entre l’Islam et le IIIReich est le fruit de travaux de recherche considérables, dont témoigne une imposante bibliographie comportant une longue liste d’archives allemandes.

Ces relations s’inscrivent dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale au cours de laquelle les nazis ont trouvé des alliés, des recrues et des collaborateurs dans les pays occupés, y compris parmi d’anciennes nations ennemies3.

Il faut remercier les éditions Verdier d’avoir fait traduire cet essai. Un petit bémol cependant, quelques maladresses dans l’écriture ou la traduction. Mais ce sont là des défauts mineurs : ce livre, qui fourmille de détails inédits ou peu connus, passionnera tous ceux qui s’intéressent à l’histoire.

 

1. Les forces allemandes ont pu disposer librement des aéroports de Syrie et de stocks d’arsenaux de l’armée française, grâce à l’obligeance du régime de Vichy.

2. Leur chef est l’Obersturmbannführer Walther Rauff, inventeur des camions de la mort, dont les gaz d’échappement provoquaient l’asphyxie des détenus.

3. C’est ainsi que les forces de Vichy se sont opposées au débarquement américain en Afrique du Nord, du 8 novembre 1942, tandis qu’elles ont ouvert les portes de la Tunisie au corps expéditionnaire allemand.