Histoires littéraires, 15 février 2008, par Jean-Jacques Lefrère
Le titre semblerait annoncer quelque étude pointilleuse sur la poésie de Fondane, mais il en va tout autrement. Nous avons en effet affaire à un véritable essai, extrêmement dense, à la fois précis et souple, et nourri d’une véritable connaissance des œuvres littéraires et philosophiques du XXe siècle. Un tel bagage, pas si commun, était sans doute nécessaire pour se livrer à une étude de la poésie de Fondane, laquelle n’est nullement un simple exercice littéraire, mais un véritable drame spirituel, qui met en jeu quantité de notions et de concepts, et ne peut de surcroît être compris sans être relié à la vie de Fondane comme au reste de son œuvre. Cet essai a également le mérite de s’attacher à étudier la partie peut-être la moins connue de cette œuvre, quoique certains de ces textes aient fait l’objet de récentes rééditions. Autre mérite, l’auteur fait souvent appel aux articles de Fondane parus dans la presse roumaine, qui éclairent assez bien les opinions et conceptions du poète. On trouvera par ailleurs de bonnes analyses de la position de Fondane vis-à-vis de Dada (de Tzara, notamment) et du Surréalisme. S’élevant contre Valéry et son concept de « poésie pure », l’auteur du Mal des fantômesa cherché à retrouver « la spécificité du geste poétique » et à réhabiliter le chant, qui constituait à ses yeux une « manière d’exister ». S’affirme ainsi une véritable confiance dans le langage et l’écriture, qu’on peut percevoir dans les si curieux Ciné-poèmes (1928), où Fondane a voulu retrouver, par la poésie, cette prise sur le réel qui, selon lui, caractérise le cinéma. Mais cette poésie ne se nourrit pas seulement de l’influence du cinéma et du théâtre ; elle s’inspire aussi, montre Patrice Beray, de certains philosophes comme Nietzsche et surtout Chestov, dont on sait l’influence qu’il eut sur Fondane. À travers cet essai, on voit enfin à quel point le poète, venu de Roumanie en France pour périr finalement à Birkenau, vécut dans sa personne même le drame de l’entre-deux guerres, et l’on comprend sans peine que, comme le souligne l’auteur, il ait pu trouver cruelle et terrifiante la leçon de l’Histoire. Tout cela parfaitement montré et expliqué dans cet excellent essai, qui n’a rien de commun avec toutes ces monotones chasses à courre et curées faites par tant de critiques sur tous les « grands » auteurs du programme.