Communauté des religions, mars 1992, par Jean Borella
La collection « Islam spirituel » publiée aux Éditions Verdier sous le logo coranique nûr’ala nûr vient de s’enrichir d’un nouveau livre, la traduction du traité de soufisme de Rûzbehân : Kitâb-e Abhar al-’âshiqîn, Le Jasmin des fidèles d’Amour, par H. Corbin, restée inédite depuis la parution en 1958 du vol. 8 de la « Bibliothèque iranienne » donnant avec le texte persan la version française du seul chapitre premier. Entre-temps, H. Corbin avait publié son Islam iranien dont le tome III contient précisément une longue présentation de Rûzbehân avec de copieuses citations de ses écrits : le Journal spirituel (Kashf al-asrâr) et naturellement le Jasmin. C’est à partir de cet apport documentaire que nous avions pu nous référer à Rûzbehân dans notre Miroir de la Shahâda (p. 68-72).
Depuis la disparition d’H. Corbin, bien des textes inédits ou dispersés dans des revues ont été publiés et c’est ainsi que dans la même collection a paru la traduction du magnum opus de Sohravardî : Le Livre de la Sagesse orientale (1986). La publication de cette traduction avait déjà posé bien des problèmes sur lesquels Christian Jambet s’expliquait dans l’Introduction. Pour leJasmin des difficultés analogues conduisaient soit à reprendre la partie plutôt paraphrasée que traduite au risque d’aboutir à un texte hybride, soit de publier tel que le manuscrit laissé par H. Corbin. C’est ce dernier parti qui a été retenu ; la rigueur scientifique de la traduction a été sacrifiée à la qualité et à l’homogénéité littéraire du texte. On pourra contester un tel choix mais il est cohérent avec l’option de Corbin rendant par l’équivalent occidental « Fidèle d’Amour » le mot arabe ’âshiq (amoureux) pour suggérer les correspondances et jeter des ponts comparatistes entre les spiritualités d’Orient et d’Occident. Un orientaliste étroit désapprouvera sans doute une telle façon de faire mais H. Corbin avait depuis longtemps pris son parti de cette sorte de critique.
Rûzbehân Baqli Shirazi(1128-1209) est, dans le soufisme iranien du XIIe siècle, la personnalité méridionale qui fait pendant à Sohravardî (1155-1191), son contemporain septentrional, et dans la conférence qui sert de Prologue à la traduction, H. Corbin n’a pas manqué d’évoquer, en un raccourci, le rayonnement de la civilisation romane qui, à la même époque en Occident illuminait de sa spiritualité le monde chrétien.
Quiconque s’intéresse au soufisme et à cet Âge d’Or multiforme que représente le XIIe siècle, appréciera ce nouveau livre publié avec le même soin que les précédents.