Revue de l’histoire des religions, 213-2/1996, par Pierre Lory
[…] Le Guide divin dans le shî’isme originel fournit une présentation étoffée des doctrines imâmologiques relevant de la phase originelle du mouvement. Les imâms y sont décrits comme des entités cosmiques antérieures à la création de l’univers et modèles de celui-ci. Dotés lors de leurs vies terrestres d’un savoir universel des choses présentes et à venir, ils furent la source infaillible de tout enseignement ou dogme. Représentant la présence active de Dieu sur terre, leur pouvoir d’intervention théurgique dans les événements du monde était censément sans limites. Cachées à la plupart des hommes, ces dimensions divines de la mission des imâms doivent se manifester lors d’une parousie triomphale dont le moment est gardé secret… Une telle reconstitution a bien sûr ses limites, s’agissant de doctrines ésotériques et donc par définition discrètes et allusives. Mais l’analyse de M.A. A-M. affine toutefois l’examen en distinguant trois niveaux dans l’enseignement ancien des imâms : un niveau exotérique adressé à tous les croyants (questions de droit par exemple), un niveau « mésotérique » destiné à un groupe plus restreint (cosmologie et nature surnaturelle des imâms notamment), et un troisième franchement ésotérique ayant sans doute porté sur des questions d’eschatologie (p. 305-306).
L’apport du présent ouvrage (traduit en anglais dès 1994) nous apparaît donc tout à fait considérable. Il ne vient pas remettre en question les aspects strictement politiques de la revendication chiite originelle, mais établit en tout cas de façon certaine combien la dimension ésotérique du mouvement y est originelle, et qu’elle n’est en rien secondaire même si bien évidemment de nombreux chiites des premiers siècles hégiriens n’y ont pas adhéré. Il offre en outre une riche base de réflexion sur le destin d’un courant religieux qui connut la persécution du vivant de ses imâms, avant de devenir religion officielle de l’Iran à partir du XVIe siècle – en leur absence.