Télérama, 2 juillet 2008, par Nathalie Crom
Mais qui est Lutz Bassmann ?
Artisan depuis plus de vingt ans d’une œuvre littéraire remarquable (Des anges mineurs, Dondog, Songe de Mevlido…, édités au Seuil) et d’une singularité exceptionnelle, jamais Antoine Volodine ne s’est considéré pourtant avec solennité, comme un écrivain solitaire, un anachorète. Il se définit comme un scribe plutôt, un simple porte-parole ou un porte‑plume, une voix modeste s’élevant, parmi d’autres, pour témoigner de ce monde post-exotique – le sens de ce qualificatif est à peu près inexplicable… – où il semble vivre, et d’où il nous écrit régulièrement afin de nous rendre compte de ce qui s’y passe. Un monde en ruine et en friche, où la persécution et la concentration sont la règle ; un monde dévasté par quelque apocalypse sans nom, ravagé par des révolutions mondiales dévoyées, des accès d’intolérance hystériques, des exterminations et des massacres. Un monde qui semble prophétiser l’avenir du nôtre. Il y a dix ans, Antoine Volodine fit paraître un vrai faux manifeste littéraire : cela s’appelait Le Post-exotisme en dix leçons, leçon onze (éd. Gallimard, 1998), et l’on découvrit dans cet ouvrage les noms de quelques-uns des compagnons d’écriture de Volodine – une galaxie d’écrivains, parmi lesquels ce dénommé Lutz Bassmann, écrivain emprisonné, dont paraissent aujourd’hui deux livres, Avec les moines-soldats et les Haïkus de prison. Pour parler simplement, on dira que, d’Antoine Volodine, Lutz Bassmann est un hétéronyme – comme Pessoa possédait les siens : identités imaginaires prolongeant la voix du poète, et dans son œuvre ouvrant des portes sans cesse nouvelles. Pour parler poétiquement, on dira que l’on retrouve dans les deux livres de Bassmann tout ce qui fait la grandeur et la puissance d’Antoine Volodine : le souffle romanesque, le pouvoir d’évocation, la dimension visionnaire, la capacité à sauver toujours la part du rêve et de l’enfance dans un monde de cauchemar.