L’Humanité, 25 août 2011, par Alain Nicolas
Entre Quichotte et Don Juan, le vide du désir
Un roman d’initiation parodique et décalé sur le mal-être érotique des classes moyennes. Robert Menasse inattendu et savoureux.
« Je n’ai jamais eu de vie sexuelle aussi débridée qu’en ce moment, où le sexe m’ennuie », faut-il absolument être cynique pour prononcer une telle phrase ? Réaliste, en tout cas, comme l’est Nathan. Hors de l’espace du désir, il n’est plus nerveux et « la nervosité, nuit beaucoup plus que l’ennui à la virilité ». Et le cynisme, contrairement à la « réaction incontrôlée à des stimuli », est humain. C’était la première digression de – ou à propos de – Don Juan de la Manche, le dernier roman de Robert Menasse, où elle est élevée au rang d’art majeur. Pourquoi ? Parce que, nous dit l’auteur, « la vie en général est une succession infinie de digressions qui nous éloignent de l’amour mais dont on espère qu’elles s’avéreront en fin de compte les seuls détours praticables menant à l’amour ». Ainsi en va-t-il de ce livre, qui digresse autour de la personnalité, de la vie et des idées de Nathan.
Il a des excuses. C’est sa psychanalyste, Hannah Singer, qui lui demande un « reportage » sur ce qui l’a amené dans cet espace Schengen du désir, vide et gardé de toute la vie qui grouille à la frontière. Le roman pourrait être ce reportage, entre épouse, maîtresses, psy, et surtout père et mère juifs, histoire de redoubler le pont qui s’était jadis établi entre Vienne et New York. Il y a du Woody Allen chez Nathan, avec un peu plus d’agressivité, du Houellebecq sans la complaisance. Fusionner dans ce personnage Don Juan et Don Quichotte, comme le suggère le titre, est ambitieux. Mais le résultat est à la hauteur de la folie du projet.