Le Figaro, 22 janvier 2009, par Stéphane Boiron
La geste des Franciscains
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La pensée franciscaine à la base du capitalisme ?
Sans y rechercher de grandes révélations sur François, on relira différemment Les Actes de sa vie, en goûtant, derrière la traduction, le charme d’un latin resté souvent proche de l’oralité. On y découvrira des héros plus obscurs : ces frères de la Marche poussés à imiter leur modèle, clairement identifié au Christ. On entendra résonner la voix du Poverello, aux préoccupations « sociales » toujours actuelles quand, scellant son accord avec frère Loup, il lui déclarait : « Je sais que tout ce que tu fais de mal, tu le fais à cause d’une faim enragée. »
Les Spirituels, qui avaient placé ces paroles dans la bouche du saint d’Assise, avaient fait le choix d’une pauvreté rigoureuse. Un essai très stimulant de Giacomo Todeschini montre qu’il appartint néanmoins à la pensée franciscaine, et notamment à son courant le plus radical, de poser les bases des réflexions économiques du capitalisme moderne.
On doit, en particulier, à l’un de ces Spirituels, Pierre de Jean Olivi (mort en 1298), d’avoir défendu le rôle socialement positif de l’argent, révélé par « la capacité des marchands à le faire circuler sans l’immobiliser, à l’utiliser sans chercher à l’accumuler, à le vivre comme une unité de mesure et non comme un objet précieux ». Pouvait dès lors être assignée au marché, à l’échange, au commerce, une finalité, non seulement sociale ou civique, mais aussi évangélique : permettre aux « laïcs de contribuer selon leurs possibilités à l’édification d’une société chrétienne ».
Opérant une distinction entre un usage mobile et une appropriation égoïste des biens économiques, les Franciscains purent ainsi discerner chez le marchand, « protagoniste laïc de la richesse transitoire, c’est-à-dire de l’investissement téméraire », « une haute vertu, voire un héroïsme civique » qui en faisaient « un interlocuteur privilégié des pauvres en Christ ». Cela explique, selon M. Todeschini, que ceux-ci n’aient pas craint d’apporter leur soutien à la société de marché, découvrant dans sa logique « la clé de voûte de la socialité chrétienne ». Sur le fondement de cette éthique économique centrée sur la valeur de la circulation continue de la richesse, ils parvinrent même, dans les dernières décennies du XVe siècle, à donner forme à l’institution du Mont-de-Piété. Mais ce bonheur civique réglé par les lois du marché avait un prix : la masse des exclus pour qui la pauvreté ne fut jamais un choix volontaire.