La Liberté, 13 mars 2010, par Alain Favarger
La lame de l’ironie
Poète virtuose et sensuel, couronné par le Nobel en 1975, Eugenio Montale (1896-1981) fut aussi un prosateur à la plume acérée. On peut s’en rendre compte en lisant un recueil de récits serrés, initialement publiés en France en deux volumes aux éditions Fata Morgana sous les titres La Maison aux deux palmiers (1983) et Papillon de Dinard (1985). Réunis aujourd’hui en un seul volume avec la traduction faite alors par Mario Fusco, ces textes séduisent toujours par leur force de pénétration. On s’y trouve le plus souvent en Italie dans l’univers d’une bourgeoisie étouffante de veuves ou de belles frustrées. Une fois le décor posé, le narrateur déroule des histoires cruelles à l’implacable logique mortifiante.
Ainsi dans « Les yeux limpides », la veuve d’un riche industriel reçoit les condoléances des connaissances du défunt et se demande qui, parmi elles, a été la maîtresse de celui-ci. Un texte hallucinant qui tourne autour de deux jeunes femmes ayant pour point commun un prénom commençant par F. et une chevelure noire nuancée de bleu. Cependant que l’épouse flouée tient dans sa poche un billet plié en quatre contenant une mèche noire et cette inscription de la main de son mari : « F. 7 juillet » !
Parfois l’auteur quitte l’Italie des brocarts et des jardins luxuriants pour nous entraîner à Londres dans un dîner carbonisé. Ou dans un hôtel de Zurich où l’on voit l’auteur subir une interview people avant la lettre débouchant sur un sommet de cuistrerie. À redécouvrir pour le plaisir de l’ironie pure.