Le Magazine littéraire, octobre 2006, par Fabio Gambaro
Marcher et penser. Marcher et compter ses pas. Sans arrêt, toujours, méthodiquement. Thomas, le protagoniste des Quinze Mille Pas, le très beau premier roman de Vitaliano Trevisan, est obsédé par les distances. Surtout celle qui sépare son domicile de l’étude du notaire Strazzabosco. Une distance de quinze mille pas qu’il parcourt, tout en remâchant ses idées noires et sa solitude, alors que sa mémoire retrouve peu à peu ce qui vient de lui arriver. L’assassinat de sa sœur, les relations difficiles avec son frère, le mystère d’une étrange maison isolée dans un grand parc à l’abandon. Autour de lui la waste land du nord-est de l’Italie (l’action se déroule à Vicence), « un territoire dominé par une neurasthénie d’ordre supérieur, perpétuellement contraint à la défensive par un état latent, mais constant, de siège ». Une province où les usines, les parkings, les centres commerciaux, les villas entourées de hauts grillages, les autoroutes et les friches se succèdent sans discontinuer, donnant lieu à une géographie dépourvue de toute trace d’humanité.
Dans ce roman sombre et fascinant, traversé d’un bout à l’autre par le délire et le désespoir, l’écrivain italien peint un monde dominé par l’impression d’une catastrophe toujours imminente, un monde sans plus aucune certitude, gangrené par la solitude et la mort. Est-ce la réalité ou bien la construction d’une folie cachée derrière un esprit froid et géométrique ? Pour le savoir, le lecteur doit pénétrer dans le labyrinthe mental de Thomas et suivre jusqu’au bout ses quinze mille pas. Un roman d’une force rare qui révèle un auteur plein de talent.