Le Monde, 13 février 2013, par Francis Marmande
Vade-mecum espagnol
Jean-Michel Mariou est directeur littéraire chez Verdier. Il y publie Ce besoin d’Espagne, dont il fait le journal de sa passion, de ses routes, de ses mémoires et de ses reportages et le journal de ses joies et de ses chagrins. Journal d’autant plus émouvant, exigeant, humble, qu’il procède d’un désir d’Espagne – selon l’expression de Dumas – que les garçons de la génération de Mariou, fous de politique et d’envie de changer la vie (l’immédiate après-guerre), bridaient avec la dernière énergie. Communistes, intellectuels de gauche, artistes (Picasso, Pablo Casals) et gaillards du Languedoc que l’école frottait aux fils de républicains exilés, s’étaient juré de ne jamais mettre les pieds en Espagne, Franco vivant. Manifs, protestations, c’est à la veille du garrottage du militant anarchiste Puig Antich (le 2 mars 1974) que Mariou découvre de nuit les arènes de Nîmes.
Franco finit par mourir en 1975, et Mariou, dont les copains, Alain Montcouquiol, Simon Casas, Alain Bonijol, Curro Caro, François Garcia, tous fils du peuple comme lui, se sont déjà parjurés par pure passion tauromachique, découvre la route des toros.
Depuis 2005, il produit l’émission « Signes du toro » pour France 3, avec le conteur Zocato. Chez Verdier, Mariou anime la collection « Faenas » et la revue du même nom. Revue qui ne comporte que six numéros, afin que les six lettres en alignent le titre dans une bibliothèque. Revue d’écrivains aux coquetteries de bibliophiles.
Sur France 3, Mariou a produit une des meilleures émissions littéraires de ces trois dernières décennies : « Qu’est-ce qu’elle dit Zazie ? ». Émission maltraitée avant d’être brutalement interrompue.
Son livre, tout tricoté d’amour, de douleur et de complexité, est une des pièces les plus sereines à apporter dans trois siècles au débat taurin-anti-taurin. Nul prosélytisme, rien de pervers, la vie même, la beauté des taureaux. Des saisons, des châteaux en Espagne, des chemins de terre et les bizarreries de la mémoire. Ainsi, ces deux garçons pris ensemble, les deux cornes à la fois, par un toro nommé Universal, le 12 juillet 2007 à Pampelune : ce n’est pas par l’épaule ou le ventre qu’ils sont encornés, mais bien par le fondement, ce dont témoigne une photo du quotidien de Navarre.
Par précaution oratoire, Mariou, lui qu’on n’imagine pas une minute en train de lire Le Cahier noir, de Joë Bousquet, cite ces lignes exactes du poète de Carcassonne : « Ne soyez pas régionalistes, les endroits de vos rencontres porteront les noms de vos amours. Mais soyez de votre région. Vous n’appartenez pas à un lieu : il n’existe de lieux que pour les esclaves. Vous n’êtes pas cette terre languedocienne : vous êtes le don de cette terre à la patrie humaine. » Érudition légère, goûts de la vie et du vagabondage, passion simple, tout est là, plus le drame de l’amitié dont Mariou parle avec la profondeur d’un penseur latin : la blessure du torero Christian Montcouquiol, suivie de son suicide (1954-1991).
Le besoin d’Espagne a son histoire, son genre, sa façon. Il est moins monté du col, moins civilisé, que le culte de l’Italie. Il ne vous donne pas une haute idée de vous-même, il vous donne une petite idée des autres. Il est puissant, charnel, et doit toujours se justifier sans chercher à parader.
Se justifier comment ? Par la peur d’être pris pour un « touriste culturel », un blaireau qu’auraient abusé les Vierges de Séville, un amateur de corridas. Pourtant, désormais, le voyage en Espagne ne se fera plus sans le Mariou sous le bras ou dans le sac à dos.