Camilo José Cela

L’aficionado

Traduit de l’espagnol par Antoine Martin

Collection : Faenas

100 pages

11,16 €

978-2-86432-147-7

février 1992

L’Aficionado réunit tous les écrits taurins de Camilo José Cela.

Les toreros ratés et faméliques qui hantent son œuvre, de ses romans les plus célèbres aux moindres chroniques de circonstance, ne sont pas de simples éléments exotiques de l’éternel espagnol. Du fond de la vie, dans le dédale qui mène chaque homme à la liberté d’être lui-même, ils constituent pour Cela, la figure la plus lumineuse et la plus têtue de l’espoir.

Le Sébas, celui qui travaille au télégraphe

Le Sébas est opérateur de télégraphe, et passionné de tauromachie. Le Sébas ne dit pas « les courses de taureaux », mais « la tauromachie », ce qui fait plus mystérieux, plus entendu, aussi. Le Sébas ne parle pas par métaphore mais bien plutôt, selon le diagnostic de don Bartolomé, le maître d’école, par succédanés. Le Sébas dit « la percale » pour la cape, « le leurre » pour la muleta, « les bâtonnets » pour les banderilles, « la rapière » pour l’épée, et ainsi de suite. Le Sébas est un vrai prodige dans l’art difficile de parler le castillan par approximations ; dans la conversation courante, même quand il n’est pas question de tauromachie, il agit pareillement. Parfois, il va jusqu’à inventer des mots, signalé service rendu à l’Académie qui, pourtant, ne lui a jamais manifesté sa reconnaissance. Il est vrai que le Sébas les invente sans s’en apercevoir et sans y prêter plus d’importance.

— Alors, Sébas, qu’est-ce que vous en pensez, de la maison que se fait construire le Ramón de madame Catalina ? Habituellement, le Sébas adopte un air pensif avant de répondre.

— Je sais pas, je sais pas… À mon avis, la bigamie n’est pas très résistante. Enfin… chacun voit midi à sa porte. Ce qui me plaît, c’est qu’il se soit fait installer la lumière génitale dans la cuisine. Il me semble qu’il commence à être temps qu’on se modernise un peu, par ici. C’est pas vrai ?

— Et comment que c’est vrai, Sébas, et comment ! Ici, au village, il nous reste encore beaucoup à apprendre des gens de New York… Avec un peu de patience, nos enfants pourront peut-être le voir. Mais, pour nous, c’est bien foutu…

Le Sébas économise l’année durant pour tout dépenser, d’un seul coup, aux courses de taureaux de Murcie. Le Sébas qui, bien que marié, n’a pas d’enfants, peut se permettre certains luxes.

— Celui à qui Dieu n’a pas donné de fils, le diable lui donne des passions, Sébas !