William Shakespeare

Antoine et Cléopâtre

Théâtre. Traduction et postface par Daniel Mesguich

Collection : Littérature anglaise

192 pages

14,20 €

978-2-86432-388-4

février 2003

Il s’agit là, rapprochant les deux langues, de traverser une fois encore ce texte qui se donne comme essentiellement fardé, costumé, d’aventures romaines, médiévales ou renaissantes, mais dont la lettre, quand on l’ouvre, renvoie inlassablement aux mêmes apories et aux mêmes vertiges.
Cette pièce est une histoire d’amour et de guerre où les deux thèmes entrecroisés sont indémêlables, nourris, permis l’un par l’autre. C’est l’histoire d’un sujet – Antoine – entre son autre lui-même – César-Octave – et son autre elle-même : Cléopâtre. C’est l’histoire d’un déchirure « au seuil de l’automne du corps », comme dit Bonnefoy.
Pour entreprendre une nouvelle traduction d’Antoine et Cléopâtre, Daniel Mesguich ne s’autorise que du seul fait qu’il est homme de théâtre et Shakespeare un écrivain pour le présent infiniment renouvelé de la scène – il écrit pour la représentation. Le texte anglais, lui, restera, terre d’accueil de tous les présents à venir – mises en scène ou traductions.

Dans le mausolée de Cléopâtre, à Alexandrie.

Cléopâtre, Charmian, Iras, puis Diomède, Antoine.

 

CLÉOPÂTRE. — Oh Charmian, jamais je ne sortirai d’ici !

 

CHARMIAN. — Laissez que je vous réconforte, Madame.

 

CLÉOPÂTRE. — Non. Je ne veux pas.

Quelque étrange qui m’arrive,

Ou bien quelque terrible,

Je lui dis bienvenue.

Mais le réconfort, je le méprise.

La taille de notre malheur,

– Qui est aux proportions de ce que fut notre cause –

Se doit d’être

Aussi haute que ce qui la provoque.

 

(Entre Diomède.)

 

Ah !… Quoi, il est mort ?

 

DIOMÈDE. — Sa mort s’est posée sur lui, mais il n’est pas mort.

Regardez de l’autre côté de votre mausolée :

Ses gardes l’y ont amené.

 

CLÉOPÂTRE. — Ô Soleil, Incendie la sphère immense où tu te meus,

Et plonge dans la ténèbre l’inconstant rivage du monde !

Ô Antoine ! Antoine !… Antoine !…

Au secours, Charmian, au secours ! Iras, au secours !

Mes amis, là en bas, hissez-le jusqu’ici !

 

ANTOINE. — Pacifie-toi, mon amour…

Ce n’est pas la valeur de César qui a terrassé Antoine,

C’est celle d’Antoine qui a triomphé d’elle-même…

 

CLÉOPÂTRE. — Il devait en être ainsi,

Puisque nul autre qu’Antoine

Ne pouvait vaincre Antoine ;

Mais qu’il en soit ainsi, ô malheur !

 

ANTOINE. — Je meurs, mon Égypte, je meurs…

Je ne fais ici qu’importuner la mort un instant :

Qu’après tant de milliers de baisers,

Je pose le pauvre dernier sur tes lèvres…

 

CLÉOPÂTRE. — Oh, je n’ose pas, chéri

– Chéri mon seigneur, pardon – Ooh, je n’ose pas :

J’ai peur d’être prise…

Jamais le très fortuné César ne fera de moi

Le clou – doré – de son impérial spectacle !

Si les poignards, les serpents, les drogues,

Gardent leur tranchant, leurs dents, leur effet,

Je suis sauvée.

Ta femme Octavie, avec ses yeux modestes

Et sa tranquille fermeture d’esprit,

N’aura pas l’honneur de faire la vertueuse à mes côtés !

Mais toi, viens !… Viens Antoine, viens !

Aidez-moi, mes femmes, il faut le hisser !

Aidez-moi mes amis !

 

ANTOINE. — Oh, vite, vite, je meurs…

 

CLÉOPÂTRE. — Ça c’est de l’exercice, vraiment !

Comme mon seigneur pèse lourd !

Mais c’est que notre force tout entière est partie en tristesse,

Et, voici que notre peine se rajoute au poids !

… Oh, sois le bienvenu, le bienvenu et le bienvenu !

Oh, ne meurs pas avant vivre,

Ranime-toi à mes baisers !

Ah, si elles avaient ce pouvoir, j’y userais mes lèvres !

 

ANTOINE. — Je meurs, mon Égypte, je meurs…

Donne-moi du vin,

Et laisse que je te parle un peu…

 

CLÉOPÂTRE. — Non, moi, laisse-moi parler,

Et laisse-moi me régler si haut

Que sous la provocation de mes offenses,

Cette fausse ménagère, la Fortune, en brise son rouet !

 

ANTOINE. — Douce reine, un mot…

Gentille, écoute-moi bien :

Ne te fie, dans l’entourage de César, à personne,

Si ce n’est à Procule. D’accord ?

 

CLÉOPÂTRE. — Je ne me fierai,

Dans l’entourage de César, à personne.

Qu’à ma résolution, et à mes mains !

 

ANTOINE. — Le change misérable… now at my end…

Ne lamente pas… nor chagrine… Mais

Que te plaisent

Tes pensées… les nourrissant… with… thoses…

Mes premières fortunes…

When I… vivais… le plus grand prince du monde,

The noblest… Maintenant my spirit is s’en allant

I can… je ne puis plus… no more.

 

(Antoine meurt.)

« Fictions / Théâtre et Cie », par Blandine Masson, France Culture, création radiophonique de Jacques Taroni, dirigée par Daniel Mesguich, enregistrée en direct et en public, dimanche 23 décembre 2012 de 21h à 23h