Claude Pérez

Conservateur des Dangalys

Roman

Collection : Collection jaune

160 pages

14,00 €

978-2-86432-403-4

janvier 2004

Le lieu : une sorte de château, dont on a fait une sorte de musée, au lieu-dit les Dangalys, en bordure d’une autoroute, à deux pas d’un hypermarché.
Le protagoniste : c’est Étienne le conservateur (adjoint) du musée ; homme à tout faire, en vérité, sous l’autorité d’une Ophélia migraineuse et dépeignée.
Le temps : il y en a trois. Le premier, le plus reculé, est celui de Charles-Aimé, médiocre personnage né une centaine d’années plus tôt dans cette même bâtisse où il est maintenant muséifié, et pauvre jouet en son temps de diverses intrigues politiques ; le second est celui de la mémoire du conservateur et spécialement de ses amours contrariés avec sa trop belle et trop riche cousine Xénia ; le dernier enfin, le présent, où se côtoient tant bien que mal ses entreprises amoureuses auprès des clientes du supermarché, ses escarmouches avec Willy, la vie quotidienne du musée et la surveillance des « nocturnes » auxquels il sert parfois de théâtre.

Vraiment, oui : comblé, que vous dire d’autre ? Comblé. Depuis cette nuit devant la fenêtre où j’avais essuyé ses larmes avec le dos de la main dans la lumière du gyrophare, où je les avais bues sur ses joues, bues une à une sur ses joues puis séchées avec mon haleine, je me disais chaque jour que j’étais comblé. Que je possédais enfin, que je fermais le poing sur ce que depuis longtemps, toujours, j’avais espéré, convoité… Même le beau temps ne finissait pas : nous en jouîmes, deux dimanches de suite, dans ce petit cottage près de Cambridge où nous nous étions transportés… Trois pièces ou quatre, adorables… Une petite rivière au bout du jardin, le vert de l’herbe, des moutons… Si, si, des moutons, parfaitement, dont Xénia était en quelque sorte, potentiellement, la bergère… Il y avait une barque verte… Je poussais sur les avirons…
Quel délice. Quel pur délice… Ah, sans doute, sans doute, il a pu se produire, je ne dis pas que de temps à autre… Si je prétendais qu’il n’y eut jamais… Nous sommes insatiables, n’est-ce pas ? Incapables d’être satisfaits… Oui, oui… Nous ne serions pas ce que nous sommes s’il n’y avait pas un quand même : trace de brûlure sur le rideau neuf, tache sur l’ourlet du manteau de sacre… Mais peu de choses, enfin, ces quarante-deux jours, si peu de choses, vraiment… Je doute qu’on puisse me comprendre, je saurais moi-même si mal m’expliquer… Cela paraîtra si ténu, si négligeable, de si peu de poids… Par exemple, cet orteil qui était plus court que le doigt d’à côté… Ou bien encore cette déception – oh ! légère ! légère ! si légère ! – quand au réveil quelquefois mon regard tombait sur sa poitrine nue, ces mêmes seins délicieux que j’avais vus ardents et gonflés de désir, de luxure, mais inertes à présent, atones, quotidiens, profanes, le mamelon mélancoliquement avalé dans l’aréole… Et c’est tout ? C’est tout, voyez le peu de chose… Et comme ce serait absurde, absurde et odieux, même, même si l’on veut révoltant, de lui tenir si peu que ce soit rigueur, de lui faire, fût-cein petto, fût-ce malgré soi, le plus insignifiant grief.