William Butler Yeats

Derniers poèmes

Édition bilingue. Traduit de l’anglais et présenté par Jean-Yves Masson

Collection : Verdier/poche

196 pages

10,04 €

978-2-86432-558-1

octobre 2008

Les ultimes années de la vie de Yeats sont peut-être les plus fécondes et les plus novatrices ; les poèmes composés entre 1936 et 1939 (le dernier, quelques jours seulement avant sa mort) témoignent d’une inventivité musicale et thématique, d’une audace verbale proprement extraordinaire. Les grands symboles qui traversent et structurent les recueils antérieurs sont ici l’objet d’une remise en question, d’un doute anxieux dont la plus célèbre expression est le poème intitulé La Désertion des animaux du cirque. En même temps, c’est toute la violence de Yeats, sa révolte contre le grand âge, son tempérament moins apaisé que jamais, qui trouvent ici leur plus pathétique expression. L’audace quasi surréaliste de certaines images, la concentration extrême des vers, la crudité des allusions sexuelles, firent que ces poèmes déconcertèrent ceux qui, à l’époque, les découvrirent en revue. Réunis en volume après la mort de Yeats, ils n’ont commencé d’être appréciés à leur juste valeur que dans les années soixante. Si une dizaine d’entre eux figure dans des anthologies et est souvent étudiée en France, la plupart n’ont jamais été traduits. Ils sont ici proposés pour la première fois dans leur intégralité.

Le réconfort de Cuchulain

 

Un homme qui avait six blessures mortelles, un homme
Illustre et violent, avançait à grands pas parmi les morts ;
Des yeux le regardèrent entre les branches puis disparurent.
Puis des formes dans des linceuls, qui se serraient en marmonnant,
Vinrent à leur tour et disparurent. Il s’appuya contre un arbre
Comme pour méditer sur les blessures et sur le sang.
Un linceul qui semblait avoir de l’autorité parmi ces êtres
Qui rappelaient des oiseaux, s’approcha et laissa tomber
Un baluchon de toile. Puis les linceuls, par deux, par trois,
S’approchèrent timidement, car l’homme était maintenant calme.
Alors, celui qui avait apporté la toile parla ainsi :
« Ta vie peut s’adoucir beaucoup si tu consens
À obéir à notre ancienne règle et confectionner un linceul ;
Si nous tremblons d’effroi devant le cliquetis de ces armes,
C’est par un sentiment qu’il est dans notre nature d’éprouver.
Nous enfilerons le chas des aiguilles ; les tâches qui sont les nôtres,
Nous devons les accomplir tous ensemble. » Ils le firent, et l’homme
Prit alors le drap le plus près de lui et se mit à coudre.
« À présent, notre devoir est de chanter, et chanter de notre mieux,
Mais il faut d’abord que tu saches quel est notre caractère :
Tous des pleutres déclarés, mis à mort par les gens de notre propre camp
Ou chassés de chez nous, livrés à la mort dans la frayeur. »
Et ils chantèrent, mais l’air ni les paroles n’étaient humains,
Bien que tout fût accompli en commun, comme ils l’avaient dit ;
Leurs gorges s’étaient transformées, et c’étaient des gosiers d’oiseaux.

Études anglaises, tome XLVIII, nº 3, 1995, par Jacqueline Genet

Lire l’article

« Panorama, poésie », par Nadine Vasseur, invité : Jean-Yves Masson, France Culture, avril 1996
« Un livre, un jour », FR3, juin 1996