Pierre Arnouil, Ignacio de Cossío

Grandes faenas du xxe siècle

Traduit de l’espagnol par Serge Mestre

Collection : Faenas

304 pages

18,25 €

978-2-86432-465-2

mars 2006

À travers le récit – par les spécialistes de l’époque – de trente corridas triomphales des plus grands toreros de l’histoire du siècle dernier, Pierre Arnouil et Ignacio de Cossío nous font revivre l’évolution du rapport entre l’homme et le toro dans l’arène, le bouleversement des codes, la naissance des références artistiques, jusqu’à la définition moderne de la tauromachie.

De Rafael « El Gallo » à Julián López « El Juli », cette histoire vivante est aussi un hommage à tous ceux, écrivains et chroniqueurs qui, depuis cent ans, tentent, en inventant une langue nouvelle, de dire la beauté fragile, éphémère, de ce qui ne pourra jamais véritablement se raconter.

 

Préface de Jean-Michel Mariou

 

Une des particularités de l’art tauromachique fait que le plus obscur de ses servants, perdu dans l’arène la plus modeste, peut, pour peu qu’un toro le permette, le hisser au plus haut point d’incandescence. Il est donc tout à fait vain de vouloir dresser la liste des « plus grandes faenas du vingtième siècle ». Ce n’est pas le projet de ce livre. Ce n’est pas non plus son titre.

Les plus grands toreros du siècle, que font revivre ici Pierre Arnouil et Ignacio de Cossío, ont souvent eux-mêmes réalisé des faenas plus importantes que celles qui figurent dans ces pages, connu des succès plus retentissants, parfois dans des arènes de moindre importance, devant des publics moins choisis. Et certains de leurs compagnons, autres figures emblématiques de la tauromachie, absents de ces évocations, ont souvent sur le sable bâti d’éphémères châteaux aussi merveilleux que ceux qui sont décrits ici. Aucun dictionnaire, aucune encyclopédie ne parviendra jamais à entreprendre l’impossible geste des plus belles créations de l’art tauromachique, ces fragiles et brèves esquisses à main levée effacées aussitôt qu’entraperçues.

C’est donc plus simplement de l’évolution de la tauromachie qu’il est question ici. De sa transformation, au cours d’un siècle où elle s’est constituée, réglementée et fixée comme on la connaît désormais aujourd’hui, et que les auteurs ont choisi de mesurer et de raconter à travers quelques-uns des triomphes qu’ont connus les plus grands toreros de cette période.

On suivra donc tout au long de ces après-midi historiques le bouleversement des codes, la première stupéfaction lorsque les pieds se font immobiles, la naissance d’un autre rapport à la piste, l’invention des « récompenses ». Au début du siècle, il ne s’agit encore que de se défendre contre la sauvagerie du toro, pour arriver le plus vite et le plus habilement possible au moment de le tuer. Puis, peu à peu, l’enjeu se déplace. Avant de tuer, on se met à toréer. Plus tard encore, on invente la liaison des passes.

De la même manière, le rapport au toro change du tout au tout. Imagine-t-on aujourd’hui qu’un torero puisse, comme un défi, accrocher un chapeau, jeté par un admirateur, sur la corne de son adversaire, et provoquer ainsi l’enthousiasme de l’arène tout entière ? C’est pourtant ce que fit le grand Joselito, le 30 septembre 1915 à Séville. « Le délire du public est à son comble », note le chroniqueur de service.

Le choix de laisser la parole aux témoins de l’époque, à tous ces talentueux raconteurs, journalistes et écrivains, permet aussi d’entendre comme une antienne un même chant, cette voix saturée qui fait aussi de ce voyage dans les archives une anthologie de l’incapacité à dire le beau, à raconter ce qui ne peut pas l’être : « Jamais on n’a toréé comme ça ; jamais on ne reverra une telle chose ; aucune plume ne peut décrire ce qui s’est passé hier ; il n’existe pas de mots pour en parler ; après ça, il n’y a plus rien ; je regrette de devoir assister encore à une corrida ; je ne me rappelle rien de semblable ; plus personne ne pourra toréer ainsi. » Et dès le lendemain, tous de se remettre à attendre la nouvelle indépassable œuvre qui suivra, une fois encore. Ce livre est aussi un hommage à tous ces écrivains du fugace, à leurs trouvailles, à ces inventeurs dont on connaît aujourd’hui, même en France, les dignes héritiers.

Qui aurait l’idée d’établir un classement entre les œuvres d’art ? De se demander si L’Enterrement du comte d’Orgaz est un meilleur tableau que La Ronde de nuit ? Ou si Don Giovanni est supérieur à La Force du destin ? Pourtant, dès qu’il s’agit de ces fragiles monuments que les toreros bâtissent à heure fixe, convoqués par tous, la tentation est permanente. Ce livre la contourne heureusement qui, sans nostalgie aucune, nous permet de mesurer plus simplement la façon dont la tauromachie invente ses propres ressourcements, au cœur même des rêves les plus exigeants des hommes.

Décidément, comme le dit Domingo Ortega, « la vie est un labeur d’une actualité absolue ».