Pierre Dumayet
Le parloir
Collection : Collection jaune
96 pages
11,66 €
Tirage de tête : 31 €
978-2-86432-218-4
février 1995
Le parloir n’est pas un lieu, il est le moment où se dit ce que la raison voudrait qu’on tienne secret. Il est ce temps où l’homme par inconscience ou presque, va se jeter contre le mur de l’existence d’autrui. Un accident.
Pierre Dumayet joue entre réel et irréel innocemment – du moins nous le fait-il croire. Les personnages du quotidien côtoient ceux de la littérature, simplement, comme s’entrecroisent le passé et le présent, pour mieux nous dérouter et, par-delà le hasard, nous conduire vers une énigmatique nécessité.
Le Parloir est un écho amplifié des livres précédents. On y passe le plus naturellement du sérieux au cocasse, de l’humour à la gravité.
René descend lentement, à la vitesse de son ascenseur. Laisse la poubelle dans la cour, prend Le Monde ; il passe devant la fruiterie, n’y achète rien. René attend, au bar de l’Espérance, que la fille de Colette soit partie. Attente idiote, puisque, du bar, il ne peut pas voir sortir la fille de Colette. Il peut estimer seulement. Pour un jour de congé, c’est un jour de congé. Ce qui l’entête, ce n’est plus la banane, c’est l’étrangeté de sa conduite à l’égard d’une banane. Il y a un compotier sur le bar de l’Espérance : oranges, pamplemousses, amandes, bananes. Il en prend une, la goûte, essaie de décrire, pour lui, ce goût. Le garçon s’étonne de voir René se boucher les narines. C’est qu’il veut séparer de son odeur le goût du fruit. Le goût lui paraît nul, mais l’odeur est forte. L’odeur surtout ne ressemble pas au goût. Il n’y a pas de parenté entre l’une et l’autre. Ou plutôt, se dit-il : le goût, qui est à peu près nul, se marie assez bien avec l’odeur, mais l’odeur est si personnelle, si différente du goût, qu’elle choque. Ne serait-ce pas cette disparité de la banane avec elle-même qui la rendrait, sinon perverse, du moins intéressante ?