Sigismund Krzyzanowski
Le retour de Münchhausen
Roman. Traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard. Postface d’Hélène Châtelain et Vadim Perelmuter
Collection : Slovo
176 pages
15,22 €
978-2-86432-351-8
septembre 2002
Le Baron de Münchhausen, c’est la fantaisie, la faconde, le « mensonge » de la fiction supplantant la « vérité » du réel, et c’est la figure que Krzyzanowski, dix ans après la révolution d’Octobre, décide de réactiver pour donner à comprendre la Russie des années vingt.
Le véritable Münchhausen, avait notamment, au milieu du dix-huitième siècle, combattu les Turcs dans l’armée russe. Devenu personnage célèbre de la littérature européenne, le Baron revient dans l’histoire en 1921, aussitôt après l’écrasement de la révolte de Cronstadt par les bolcheviks. Désemparées, les puissances occidentales cherchent en effet celui qui pourrait porter ses pas dans ce pays invraisemblable afin d’essayer d’en expliquer les extravagances. En sa qualité de personnage de fiction, Münchhausen est tout désigné. Le voilà parti, emportant avec lui ses habitudes, sa mentalité, les archaïsmes de sa langue – ce qui n’est pas la moindre des réussites du livre. Mais comme nous sommes désormais au siècle du cinéma et de l’information, il se met à narrer ses aventures sur un rythme digne des films muets de l’époque et sous forme de conférences et d’interview. Ce qu’il dit de la Russie laisse le monde entier ébahi. En Occident, le Baron fait un triomphe. Le roi d’Angleterre veut le décorer. Mais au moment de la cérémonie, il a disparu. Seul un poète, ami de récente date qui avait mis en doute l’existence du Baron, réussit à comprendre : Münchhausen a définitivement regagné les pages de son livre, vaincu sur son propre terrain par la fiction du réel soviétique.
Un passant traverse Alexander-Platz. Il tend la main vers les battants sculptés d’un portail. À cet instant, dans les rues rejoignant la place en étoile, les petits vendeurs de journaux, bouches hurlantes :
— Soulèvement à Cronstadt !
— La fin des bolcheviks !
Courbant le dos sous le froid printanier, le passant met la main à sa poche. La fouille de part en part : fichtre, pas le moindre pfennig ! Et il ouvre brutalement la porte.
Le voici qui foule à présent l’étendue d’un chemin d’escalier ; à ses trousses, sautant une marche sur deux, une empreinte boueuse.
Au détour de l’escalier :
— Qui dois-je annoncer ?
— Dites au baron : le poète Unding.
Le serviteur fait glisser son regard des chaussures éculées du visiteur au sommet fripé de son feutre roux, avant de redemander :
— Plaît-il ?
— Ernst Unding.
— Un instant.
Les pas s’éloignent. Reviennent. Et le domestique, un étonnement sincère dans la voix :
— Le baron vous attend dans son cabinet. Je vous en prie…
— Ah, Unding !
— Münchhausen.
Les mains se serrent.
— Eh bien… Approchez-vous de la cheminée.