Dominique Sampiero
La lumière du deuil
Quand elle apparaît dans le récit, les souillures de la vie l’ont déjà atteinte. Qui était cette femme que le narrateur n’a pas même connue et qui lui manque ?
Pour la sauver de l’oubli –lui donner un corps, lui inventer une voix–, chaque mot la cherche dans la douceur mouillée du pays des Flandres, dans sa beauté native, dans sa violence sourde, sa folie silencieuse, son dénuement.
Un destin s’accomplit qui semble ne laisser aucune part à l’amitié du monde. Mais si, inconsolable, on attendait encore une lueur, c’est à la nuit, la boue, à l’immobilité de la flaque qu’il faudrait arracher son reflet.
Il lui semble entendre des pas devant sa porte.Mais non. Qui pouvait bien venir la voir dans sa petite maison, au bout du village.Personne.Personne ne lui rendait plus visite.Elle devenait folle.C’est ce qu’elle se répétait à longueur de journées, je deviens folle.Et puis à quoi bon, ces lettres que je n’envoie jamais.Cette maison que je ne range plus.Ce linge qui traîne partout comme une présence.À quoi bon se nourrir, se laver, dormir, allumer, éteindre.Une journée, puis une journée encore, pour aller où ? vers qui ? vers quoi ? Elle s’enfonce un peu plus dans cette nuit noire, en fermant un à un les volets.Sa respiration halète dans le silence de la pièce, elle est essoufflée. Maintenant que la dernière lueur dans la maison est éteinte, elle se sent prête. Elle ne voit plus ses mains, ses jambes, c’est une vraie nuit, noire.Plus qu’un tombeau, une sorte d’absence. Comme si elle n’était plus là, dissoute dans la ténèbre, faisant corps avec elle, flottant dans l’air humide.Comme une poussière. Un courant d’air.