Sigismund Krzyzanowski
Rue Involontaire
Récit. Traduction du russe et préambule par Catherine Perrel
Collection : Slovo
64 pages
9,20 €
978-2-86432-756-1
mars 2014
Rien n’est jamais trop étrange pour Krzyzanowski. Voilà qu’un de ses grands textes – tout petit en nombre de pages – que l’on croyait perdu à jamais vient de réapparaître aux archives à Moscou – restitué en 1995 par le FSB (ex-KGB) puis oublié au fond d’une réserve…
S’il n’a pas valu à son auteur d’être arrêté, c’est peut-être parce que celui-ci portait par hasard le même nom qu’un grand révolutionnaire, ou parce qu’il était un écrivain à ce point invisible que l’absence de reconnaissance dont il a tant souffert a fini par lui sauver la vie. Et l’on ne sait toujours pas de quelle « affaire » relevait ce dossier, qui comprenait essentiellement des œuvres de Nikolaï Kliouev, un poète paysan ukrainien, arrêté en 1934 pour propagande contre-révolutionnaire et exécuté en 1937. S’agissait-il du texte original confié à une dactylo qui aurait été arrêtée ? D’un exemplaire donné à lire à un écrivain qui se serait fait confisquer ses écrits ? Mystère… Quant à la rue Involontaire, elle existait réellement à l’époque : quelques coudes zigzaguant dans le quartier de l’Arbat où vivait Krzyzanowski avaient « involontairement » formé une petite rue.
Celle-ci figure aujourd’hui encore sur les cartes, mais… est introuvable dans la réalité.
Rue Involontaire est composé de sept lettres écrites par l’écrivain et son coauteur, la vodka, pour utiliser les timbres rendus en guise de monnaie lors de l’achat d’alcool. N’ayant personne à qui écrire, Krzyzanowski les adresse au premier venu ou à la fenêtre qui reste allumée la nuit, et les expédie par la fente de son vasistas. Avec une noirceur joyeusement désespérée, il approche à pas grincés de l’autobiographie.
Ce récit est accompagné d’autres petits textes ivres et foutraques, et d’extraits des carnets de l’écrivain.
« Quand je mourrai, laissez les orties pousser sur ma tombe – et qu’elles piquent ! »
Voilà comment j’ai contracté cette étrange maladie qu’on pourrait appeler épistolomanie. C’était il y a deux ans, quand la vodka suscitait de longues et soudaines files d’attente, et qu’on nous rendait la monnaie en timbres-poste. Je bois. À cause de quoi ? me demanderez-vous. Un regard trop sobre sur la réalité. Je suis vieux – j’ai les cheveux filasse et les dents jaunasses – et la vie est jeune, donc il faut me laver, comme une tache, m’effacer avec de la vodka. C’est tout.
L’Hermite, 7 avril 2014
Pour saluer les éditions Verdier
« Le Carnet du libraire », par Augustin Trapenard, France Culture, 29 avril 2014, de 14 h 56 à 14 h 59