Lire – le Magazine littéraire, juin 2022, par Camille Thomine

À l’hiver 2015, dans la sidération des attentats de Charlie hebdo, Mathieu Riboulet et Patrick Boucheron s’étaient efforcés de « prendre dates » et de réamorcer, par leur dialogue devenu livre, la possibilité si violemment entachée de dire « nous ». Deux ans plus tard, à l’été 2017, ils prolongeaient l’expérience au Banquet de Lagrasse, lors de « conversations sur l’histoire » introduites par l’un et menées par l’autre. Déjà rassemblés dans un très court livre autonome (Nous campons sur les rives), les « préludes » de Mathieu Riboulet recouvrent ici leur fonction première de « mettre le feu aux poudres », comme l’écrit Boucheron. Il faut certes faire un effort d’imagination pour se projeter sous la halle occitane en plein mois d’août et saisir pleinement le buissonnement de références et clins d’œil contextuels des leçons, vouées à l’oral, de l’historien. Mais les réflexions lancées sur l’ici et l’ailleurs, le nom des lieux, le rôle de l’utopie et des ruines ou la portée poétique et signifiante d’expressions toutes faites – réunies aujourd’hui sous le titre Nous sommes ici, nous rêvons ailleurs – n’en restent pas moins passionnantes. Ni moins denses et intenses les mots de son ami écrivain, qui, quoiqu’à bout de forces (il succombera à sa maladie quelques mois plus tard), savait mieux que personne « ouvrir » à l’autres ses livres et sa parole.