La Liberté, 27 août 2022, par Thierry Raboud
Aux rives japonaises de la Méditerranée
Est-ce Marseille, est-ce le Japon ? Dans un espace-temps réinventé, l’écrivain lausannois dessine une errance dont la beauté élégiaque est un éblouissement.
« Ceux qui écrivaient des histoires, il n’y a pas si longtemps, imaginaient volontiers le monde d’après comme un monceau de ruines, un tas d’ordures et de débris. » Or ici, c’est une géographie renouvelée, un vivre-ensemble réinventé, dans un paysage tendu comme un voile onirique sur la surface du réel. On serait « en plein Midi », et cette ville « Si on veut, c’est Marseille », dont on devine la physionomie, les calanques, la garrigue ; pourtant l’onomastique nous guide vers un ailleurs japonisant.
Mahashima, donc (inutile de chercher sur GoogleMaps). Ancienne capitale du royaume, désormais « trop grande pour ses habitants », où Ryoshu se souvient de son enfance dont il cherche à retrouver les lieux. Un matin radieux, il prend la route, longe le rivage et le souvenir, pèlerine vers d’anciens sommets jusqu’à ce « Pas de la Demi-Lune » qui donne son titre à l’ouvrage.
Né à Carcassonne, désormais établi à Lausanne, David Bosc est une plume discrète mais essentielle du paysage littéraire francophone. On lui doit notamment La Claire Fontaine (Prix suisse de littérature 2014) sur l’exil de Courbet, mais aussi Mourir et puis sauter sur son cheval (Prix Dentan 2016), où il faisait dire à son personnage : « Seul me porte vers les livres le désir d’y trouver ce que je ne soupçonnais pas. »
C’est ce qui fait l’attrait étrange de ce nouveau récit, qui envoûte par cet insoupçonné, par cette densité de mystère que tissent de somptueuses images à la lisière du rêve. Si le raffinement poétique, l’ombre de la guerre et l’équivoque géographique font songer au Rivage des Syrtes de Julien Gracq, le lecteur est surtout ébloui par la profonde singularité de cette prose. Verbe nourri de vers antiques (de L’Odyssée d’Homère à la Bible), de méditations lointainement politiques, farci de parenthèses comme si le langage ne suffisait à épuiser le réel, et dont la tonalité à la fois lumineuse et élégiaque a la beauté calme des estampes anciennes.