Manuel Chaves Nogales
Juan Belmonte matador de taureaux
Biographie. Traduit de l’espagnol par Antoine Martin
Collection : Faenas
280 pages
19,27 €
978-2-86432-106-4
août 1990
Quand, en 1935, Juan Belmonte livre ses souvenirs, il a déjà presque atteint à la dimension du mythe : nombreux sont les aficionados qui le considèrent comme « le plus grand matador de tous les temps ». À Manuel Chaves Nogales, biographe fidèle et opportun, il raconte l’enfance, les débuts, les triomphes, les doutes. Surtout, il dit, au-delà du pittoresque, l’itinéraire hors du commun de l’homme qui révolutionna les canons de la tauromachie pour en faire un authentique exercice spirituel et qui, jusqu’au bout, resta maître de son destin. Ce livre, qui transporte le lecteur des quartiers populaires de Séville aux plus grandes arènes du monde, est d’abord le récit d’une aventure humaine exceptionnelle.
Tous les après-midi, l’enfant étonné s’arrête sur le seuil de la maison. Son bavoir est toujours bien propre, bien reprisé. Pour goûter, on lui a donné une barre de chocolat et un quignon de pain noir. De la pénombre du vestibule, il regarde avec surprise la rue bigarrée, le spectacle du monde. Il reste là un moment, effrayé, sans se décider. Puis, timidement, en se collant aux murs, la tête basse et le regard en biais, silencieux, circonspect, il se lance dans l’aventure.
Juan habite au 72 de la Grand-rue de la Feria, dans la maison où il est né. C’est une entreprise héroïque de naître dans la Grand-rue de la Feria, de se mettre face à cette humanité brûlante, lorsque l’on vient juste de se hisser sur ses pieds pour affronter l’existence à poitrine découverte. Tout ça vous marque un caractère pour le restant de la vie. Brusquement, la rue donne au néophyte une synthèse parfaite de l’univers. Les Sévillans, vaniteux, savent l’importance d’être né dans la Grand-rue de la Feria. C’est aussi décisif que d’avoir vu le jour dans l’Attique ou au milieu des Barbares. Les Sévillans ne veulent pas admettre qu’il y a quinze ou vingt rues – pas plus – de par le monde, où l’on peut naître aussi bien que dans la Grand-rue de la Feria. On les trouve à Paris autour des Halles, dans quatre ou cinq villes d’Italie, surtout à Naples, et encore à Moscou, du côté du marché de Smolensk. Quinze ou vingt rues de par le vaste monde. ça, les Sévillans ne veulent pas le croire.