Sigismund Krzyzanowski

Souvenirs du futur

Roman. Traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton

Collection : Slovo

128 pages

15,72 €

978-2-86432-619-9

octobre 2010

On pourrait présenter cette œuvre comme un récit de science-fiction dans la grande tradition de la Machine à explorer le temps. En effet, Souvenirs du futur est le titre du livre que Maximilien Sterrer, le héros, est censé écrire suite à son voyage expérimental à bord d’un « coupe-temps » qui l’a amené jusqu’en 1957 mais qui, au retour, a raté sa cible et l’a déposé en 1928.

Pour dire la folie du monde soviétique de ces années-là, il faut avoir recours au fantastique. Seul le fantastique peut rendre compte des disparitions subites d’hommes ou de biens, des transformations inexpliquées d’un avoué en va-nu-pieds puis en profiteur prospère, et autres diableries.

Ce livre est aussi un voyage initiatique où le héros cherche à vaincre le temps. Dans ce combat inégal, sa solitude est absolue : personne ne croit à ses visions sauf ceux qui sont impuissants à changer l’avenir.
Mais si les créateurs – poètes et savants – disparaissent dans les purges ou les camps, leurs écrits sont recueillis, cachés, sauvés par ceux qui se font « les gardiens des mots ».

Ces gardiens sont pour Sterrer un écrivain, un linguiste et un éditeur.

Pour Krzyzanowski lui-même, qui a échappé à la grande broyeuse stalinienne mais n’a pas été publié de son vivant, ce rôle sera joué par Vadim Perelmuter qui l’a redécouvert et qui vient d’éditer ses œuvres complètes. Traduit dans de nombreuses langues européennes, Krzyzanowski a été très favorablement accueilli par la critique qui l’a comparé à Kafka ou à Borges, le plaçant ainsi parmi les plus grands.

Toute cette terminologie un peu étrange recouvre un système (inconnu jusqu’à présent) de perfectionnements visant à maîtriser le centre de gravité de l’appareil destiné à voyager dans le temps. Le nouveau modèle, allégé, de la machine de Sterer promettait non plus un saut modeste, de cent ou deux cents jours, mais un vol prolongé et régulier. Les doigts de l’inventeur, de nouveau en proie à la soif de réaliser, dessinaient en l’air des zigzags et des angles, mais les barbelés du camp de concentration barraient la route vers les matériaux. Les jours s’accumulaient en semaines, les semaines en mois, l’air, qui avalait les zigzags et les angles, demeurait vide. Parfois, comme remède à son inaction, Sterer essayait de s’écarter des idéogrammes qui se frottaient à son cerveau. Ainsi, avec l’autorisation de la kommandantur, il modifia en deux ou trois jours le rhéostat de la centrale qui éclairait le camp, ce qui permit d’économiser 30 % d’électricité, puis il s’attaqua au système de signalisation automatique censé éradiquer toute possibilité d’évasion. Ses camarades de captivité se taisaient lorsqu’il s’approchait, le commandant relevait le coin de ses lèvres et frôlait sa visière avec deux doigts de la main droite. Mais Sterer, aveugle à ce qui n’était pas sa pensée, était extérieur à tout ce qui faisait la vie courante. Tout ce qui n’était pas sa pensée lui apparaissait comme un ensemble indifférencié, bigarré seulement en surface (la Russie / l’Allemagne, les étrangers / les nôtres), et tout travail qui n’était pas lié à son idée était pour lui comme faire des réussites ; discuter de la supériorité d’une réussite sur une autre n’avait aucun sens.

Prix Russophonie, 2012 (pour la traduction)

Charybde 27 : le blog, 5 octobre 2015, par Marianne Loing

Miraculeusement sauvé de l’oubli, comme tous les écrits de Krzyzanowski, le récit de l’invention d’un « coupeur-temps », échappatoire à la Russie de...

Paludes, par Nikola, Radio Campus Lille (106,6 FM), vendredi 10 décembre 2010, à 13h30.