Alain Lercher
Le dos
Là, c’est un enfant qui n’entrevoit que le dos de son père, revenu brièvement d’une absence de toujours et qui part à jamais.
Ici, la famine, il faut alors gérer la rareté, dans le désordre. Et le désordre est nommé, c’est la jeunesse ; les enfants seront abattus, puis servis pour nourriture. Leur résistance, passive, finira par contenir la tranquille barbarie villageoise.
Des situations, des drames aussi simples que le jour, parfois noirs comme ce qui lui succède.
Des paraboles.
Des histoires qui sont à tout le monde et auxquelles l’auteur ne fait que prêter sa propre voix.
Je ne peux pas raconter l’histoire du dos sans raconter l’histoire d’Alfredo, puisqu’il en est l’auteur et qu’il y est en scène. Mais ce souci d’honnêteté entraîne une étrange complication, technique, sans doute, car je ne tiens pas à raconter une histoire à la place d’une autre, mais aussi morale. Alfredo est parti depuis plusieurs années et je n’ai plus de nouvelles de lui. Je ne sais donc pas s’il a envie que je lui attribue cette histoire ni que je parle de lui. Dois-je dire son nom et, parlant de lui, car il le mérite, ne rien dissimuler ? Ou dois-je parler de lui sous un autre nom, en arrangeant quelques détails ? Je pourrais alors considérer qu’il est protégé par la règle formelle de la ressemblance fortuite, mais je méconnaîtrais son droit à se voir attribuer ses propres histoires. J’ai déjà rencontré cette situation. Cela tient au fait que raconter des histoires qui sont arrivées aux autres, à moi-même parfois, m’intéresse plus que d’en inventer. Mais dans ce cas, j’ai toujours un sentiment de malhonnêteté à devoir déformer les situations, changer les noms des gens et des lieux. Je conçois bien que les histoires particulières sont, précisément, particulières et qu’il faut parvenir à les raconter de façon à ce qu’elles puissent parler à plus d’un, mais ce travail propre du narrateur sur la forme de l’histoire porte sur le point de vue qu’il faut adopter, sur les éléments de la situation qu’on doit retenir ou non, il n’implique pas la modification des noms et des circonstances.