Didier Daeninckx
Histoire et faux-semblants
Dans ces quatre nouvelles, qui auraient pu s’intituler « Doubles vies », l’histoire refuse que l’on assemble trop vite les bribes qui la constituent.
Les apparences s’avèrent toujours trompeuses : rêvant de la mère, on rencontre la fille, sans se douter des dangers d’une telle confusion. Sosies et jumeaux, faux « nègre » et vrai Canaque, chacun dissimule, est victime du pouvoir de l’illusion ou du prêt-à-penser. Les manouches et les saltimbanques sont tout désignés pour figurer des assassins. Mais l’art de celui qui – par profession ou par goût – est en quête consiste à trouver le moment opportun et le seul indice sur lequel il doit s’arrêter afin que – déréglant les perspectives –, naisse sous nos yeux une interprétation nouvelle des faits.
Ajoutons à cela l’humour, et la langue qui sait se faire chez Daeninckx si savoureusement populaire, et aussi sa volonté constante – visible jusque dans la description des paysages urbains de banlieue – d’historiciser le présent.
Le soir, son rapport tapé à la machine, Lentraille s’engouffra dans le métro Châtelet pour rejoindre la place Albert Duvivier. Des employés équipés de brosses, d’éponges, de serpillières, s’échinaient sur la mosaïque blanche pour faire disparaître les graffitis qui s’y multipliaient. Il était habitué aux « V » comme Victoire, aux « T » comme Traître toujours accouplé à un nom connu, mais il avait beau se creuser la tête, les nouvelles initiales apparues dans la journée n’évoquaient rien pour lui. Il s’approcha d’un des préposés à l’effaçage et pointa le doigt sur l’inscription « SC ».
— Pourquoi vous enlevez ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
L’ouvrier le regarda avec un air rigolard.
— C’est pourtant simple, il suffit de lire : SC barré…
SC barré… D’accord, je ne suis pas myope, mais ça ne m’en apprend pas plus…
— C’est que vous n’êtes pas au courant, sinon vous comprendriez !
— Au courant de quoi ?
— Eh bien que Hess s’est barré ! Rudolf Hess, le dauphin d’Hitler… Il est parti d’Allemagne hier, aux commandes d’un avion, il a traversé la Manche pour aller se poser en Écosse, chez les Angliches…
L’inspecteur n’eut aucune confirmation de l’incroyable nouvelle à l’écoute des programmes de Radio Paris. Il dîna frugalement d’une soupe au tapioca, d’un morceau de fromage et d’une pomme puis s’allongea sur l’édredon pour lire le journal, s’attardant sur le compte rendu du voyage en Afrique du Nord du commissaire général à l’Éducation nationale et aux Sports, Jean Borotra. Les noms des étapes du périple lui permirent un moment d’échapper au quotidien : Rabat, Fès, Meknès, Sidi-Bel-Abbès, Oran, Tunis… Il ferma les yeux pour faire venir des images des contrées lointaines mais ce fut le visage de Mireille Suchet qui s’imposa à sa divagation. Il le laissa flotter avant que ses pensées ne dérivent vers le décolleté, la naissance des seins, le galbe de la hanche, la jupe déchirée dans la chute et qui découvrait largement la cuisse de la jeune femme, l’éclat blanc, dans l’ombre, de ses sous-vêtements. Son bras s’allongea vers l’interrupteur de la lampe pour donner un écrin noir à ses rêves.
Notes bibliographiques, 13 mars 2007
Indications, mars 2007, par Marie-Pierre Jadin
« Cultivons notre jardin », Radio Enghien, lundi 26 mars 2007 à 17h
« Jeux d’épreuves », par Joseph Macé-Scaron, France Culture (en direct du Salon du livre), samedi 24 mars 2007 à 17h
« La Librairie francophone », entretien avec Emmanuel Kherad, France Inter, dimanche 11 mars 2007 à 17h
« Le Bateau livre », entretien avec Frédéric Ferney, La Cinquième, jeudi 8 mars 2007 à 21h40 et dimanche 11 mars 2007 à 10h
« Faites comme chez vous », entretien avec Pierre-Louis Basse, Europe 1, samedi 17 février 2007 à 13h