Christian Garcin
La neige gelée ne permettait que de tout petits pas
Au-delà de la frontière, un pas suffit et vous êtes projeté ailleurs.
Juste un tout petit pas, à peine au-delà ; quelque chose qui se passe et qui ne passe pas ; quelque chose qui se pense, tout seul, à l’intérieur de soi – et le monde, soudain est à l’envers, le dedans dehors ou le dehors dedans.
Ce sont ces moments de crête, fugitifs et imprévisibles, implacables et quotidiens, pleins d’une protestation muette, parfois d’un bonheur réel ou injustifié, que livrent à notre sensibilité les personnages de ces nouvelles, moments, au fond, sans passé ni avenir et qui ne valent que pour eux-mêmes.
Neuf nouvelles, autant de variations en forme d’éloge de la fuite.
Tout à l’heure je vais me lever, pensa-t-elle. Tout à l’heure je vais me lever, prendre un petit-déjeuner et quitter cet hôtel. Ils me cherchent tous. Même la police, sans doute. Je vais sortir de l’hôtel, me diriger vers la gare et les rejoindre. Non, pas les rejoindre. Ou plutôt si. Ou bien j’irai dans une autre direction. A l’opposé, voilà. Je ne sais pas encore. C’est dans moins d’une heure peut-être, et je ne sais pas encore dans quelle direction je vais aller.
Elle ouvrit les yeux et sourit au plafond. Elle se sentait intensément riche, prête à toute éventualité – comme à l’extrême pointe de son présent, ou sur la crête acérée d’une montagne. Le bruit insupportable des camions qui se croisaient sous ses fenêtres allait en s‘accroissant. Elle se disait qu’elle allait peut-être se rendormir avant de descendre.